Ce sont des souvenirs lointains. Les adultes parlaient parfois d’un lieu mystérieux du nom de Savatan. Des cavernes avec des arsenaux, des énormes canons, des passages souterrains, peut-être des grottes, des rivières souterraines, qui sait. Il ne fallait pas trop en parler. Des oreilles hostiles étaient peut-être à l’affût. Certains y faisaient leur service militaire, leurs cours de répétition. C’était une époque où la guerre était déjà lointaine, mais l’armée restait au cœur de la Suisse. Les hommes en parlaient sans cesse, ils étaient enfin seuls. Les femmes en parlaient aussi, elles étaient enfin seules.
C’est ce monde englouti dont nous parle Jean-Jacques Rapin, un destin à la Suisse, ancien directeur du conservatoire de Lausanne, colonel de milice, qui vient de publier L’esprit des fortifications dans la petite collection Le Savoir suisse. Un ouvrage un peu irritant. Dans cette collection consacrée à la Suisse dans le format des fameux Que sais-je, fallait-il consacrer un chapitre à une biographie scolaire de Vauban, un autre aux fortifications françaises et terminer par une défense brouillonne et énervée de Guisan, et de la volonté de défense du pays pendant la Seconde Guerre mondiale ? Sans doute pas.
Mais c’est un petit livre tout de même très intéressant pour les béotiens en histoire militaire. Après tout, comme le dit l’auteur, les châteaux, murailles, bastions et autres forteresses sont un élément central du décor de bien des villes et des paysages. Ces ouvrages sont souvent impressionnants et ils ont, pour paraphraser Pline l’Ancien, la beauté des objets parfaitement adaptés à leur fonction. Le rôle considérable du général Dufour, un des créateurs de la Suisse moderne, constructeur des forts du Gothard et de St-Maurice est clairement mis en évidence. Les premières places d’arme, Andermatt et Airolo sont nées de la construction des forteresses ainsi que la première arme professionnelle de l’armée suisse : celle des gardes-fortifications.
L’ouvrage de Jean-Jacques Rapin aide à comprendre la conception traditionnelle de l’armée suisse qui a été construite tout entière, jusqu’en 1960 au moins, autour de la puissance des forteresses, renforcée par l’idée de réduit national de 1940 à 1945. A leur apogée, les forteresses de montagnes pouvaient couvrir de leur feu une ligne continue de St-Maurice à Sargans ! C’est la vieille fascination pour les bases souterraines que l’on retrouve chez l’auteur avec cet imaginaire qui court de James Bond à Blake et Mortimer !
Jean-Jacques Rapin, L’esprit des fortifications, coll. Le Savoir suisse, PPUR, 2003.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!