Le dernier recensement fédéral de la population de
l’an 2000 nous donne le chiffre de 310 000 musulmans vivant en Suisse
dont 30 000 ont la nationalité helvétique. Que veulent dire ces
chiffres ? A peu près rien. La réponse à la rubrique religion du
recensement traduit souvent une référence culturelle plutôt qu’une
croyance réelle, sans même parler de la pratique !
Nous ignorons si
les Suisses vivant en Iran ou en Arabie saoudite sont considérés avant
tout comme des «chrétiens». Si c’est le cas, pour ceux qui se sentent
totalement athées, cette référence doit sembler bien pesante. Sans
doute en va-t-il de même des «musulmans» vivant en Suisse. Dans les
pays voisins, l’immigration en provenance des pays d’Islam est
relativement homogène, soit pour des raisons relevant de l’histoire
coloniale, en France ou en Grande-Bretagne avec l’arrivée de Maghrébins
et de Pakistanais ou en conséquence de vieilles alliances politiques
dont témoigne la présence des Turcs en Allemagne.
Des identités incertaines
Et
pourtant, dans ces pays, l’incertitude sur l’identité se reflète aussi
dans le vocabulaire. Les «Pakistanais» du Royaume-Uni sont parfois des
Indiens musulmans, les «arabes» de France sont généralement des
Kabyles, les «Turcs» d’Allemagne sont souvent des Kurdes et les
«musulmans» de Suisse sont fréquemment de grands Bosniaques blonds que
rien ne distingue des autochtones.
Le fédéralisme suisse, les
tropismes naturels de chaque région linguistique provoquent tout
naturellement une immigration hétérogène et totalement éclatée, avec
l’apparition d’associations établies à l’échelle du canton et n’ayant
guère de représentativité nationale. Cet éparpillement est sans aucun
doute un puissant facteur d’intégration en favorisant les ententes
locales au détriment des grandes manœuvres nationales.
Le fédéralisme musulman
Les
Bosniaques et les Turcs sont plutôt en Suisse alémaniques, les «arabes»
plutôt en Suisse romande. Les associations formées dans un groupe
linguistique ne débordent que très peu sur l’autre, chacun joue sa
partie de manière finalement très helvétique. Avec leur universalisme,
leur ouverture sur l’extérieur et leur prétention à tout englober, les
frères Ramadan sont finalement très Genevois et les frères Yakin, ces
footballeurs d’origine turcs portant fièrement le maillot de l’équipe
suisse sont très représentatifs d’un comportement alémanique tourné
vers la Heimat. La catégorie «musulmans» n’a sans doute que peu de
pertinence dans notre pays, pas plus d’ailleurs que les autres
catégories religieuses qui se dissolvent peu à peu dans un univers de
dissemblances et de regroupements fluctuants au gré de la géographie,
des circonstances et de multiples aléas. jg
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