Certes, il y a les files d’attente. Les prix sont certainement trop élevés. Mais comment
résister aux charmes d’une balade à travers la beauté du temps qui rouille?
L’arteplage de Morat, la réalisation la plus poétique d’Expo.02, est celle qui parle le plus à l’imaginaire. Elle entre en résonance avec le sommet de la terre de Johannesburg. Jean Nouvel a expliqué que le thème de Morat «l’instant et l’éternité» l’a conduit à s’inspirer du célèbre tableau de Böcklin, L’île des morts et à construire un mausolée pour les victimes de la bataille de Morat.
Mais toutes ces interventions sur le rivage transforment les rives du lac de Morat en port de mer nostalgique et délaissé. La tonalité générale, couleur de rouille, évoque l’abandon, les objets qu’on laisse faute d’utilité. Les sept petites chapelles d’Un ange passe sont ainsi semblables à des cabanes de pêcheurs inutilisées depuis longtemps. Le mésoscaphe, le sous-marin de l’exposition nationale de 1964, gît au bord de la rive, lui aussi oxydé, devenu inutile, magnifique idée scénographique.
Aucun chaland n’emportera les faux tas de sables qui semblent abandonnés. Les barges elles-mêmes sont comme échouées avec la végétation qui pousse entre les armatures disjointes. Un énorme tas de rondins, attend un improbable embarquement.
La mer d’Aral
Le pavillon de la Confédération, Werft, à quelques centaines de mètres, ressemble à un chantier naval sans emploi. Autour du monolithe, d’étranges bouées sont lestées de rondins, comme si les autorités du port en étaient réduites à un pauvre bricolage, faute de moyens. L’un des deux restaurants évoque un entrepôt massif et austère. L’autre fait penser à un bistrot nordique quelque part dans un Alaska ou une Sibérie de roman. On les croirait presque propices à de louches trafics.
Le monde a été frappé voici quelques années, par les images en provenance de la mer d’Aral, qui fut la quatrième étendue d’eau fermée de la planète, aujourd’hui réduite de moitié, transformée en désert de sel par les décisions des bureaucrates soviétiques qui voulaient développer le coton en Ouzbékistan et ont autorisé d’énormes pompages. On se souvient de ces images de ports abandonnés rouillant au milieu du nulle part avec de bateaux échoués dans les sables. Est-ce cela l’inspiration de l’arteplage de Morat ? Difficile de ne pas y penser. Chez nous, il y a l’eau, la verdure, mais voilà ce qui existe ailleurs: l’abandon, la rouille, le pourrissement. A l’heure du sommet de Johannesburg, le magnifique Arteplage de Morat engendre ce lien imaginaire avec cette réalité lointaine. jg
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!