Désormais chaque année à la belle saison, nos villes connaissent une extraordinaire explosion de manifestations de plein air de mai à la fin septembre. Pas une fin de semaine sans que la circulation soit perturbée, détournée par une manifestation sportive, un spectacle, un festival ou une fête.
En restant dans un temps maîtrisable par la mémoire humaine, disons un demi-siècle, dans les années cinquante, la convivialité ne s’exprimait pas à travers des fêtes. C’était le temps des bistrots. La civilisation du Grand Café et des brasseries jetait ses derniers feux. L’enfant que j’étais se souvient des adultes y tenant salon. Il me reste des souvenirs fascinés de siphons, de centimes jaunes lentement comptés, de boiseries et des journaux accrochés au mur.
La télévision a fait disparaître cet univers. Au tournant des années soixante, les cafés ont fermé en masse en raison du repli vers les étranges lucarnes. Un nouveau jouet, l’automobile, a remplacé l’évasion rêveuse des salles enfumées. D’un seul coup ou presque, nos villes se sont figées, vidées, transformées en déserts. Il fallut attendre les années septante, sous l’influence soixante-huitarde, pour que, lentement, la vie sociale urbaine se reconstitue. Les brasseries viennoises n’ont pas ressuscité, mais des festivals culturels, La Cité à Lausanne, le Bois-de-la-Bâtie à Genève, des fêtes populaires, beuveries plus ou moins chaleureuses ont été organisées, des carnavals inventés là où il n’y en avait jamais eu.
Aujourd’hui, cette évolution a atteint son zénith. A la belle saison toutes les fins de semaine ou presque proposent leur lot d’animations et de spectacles. A défaut de grands cafés, les petits bistrots visant souvent une clientèle très ciblée et plutôt jeune se multiplient. Cette affirmation du lien social est très différente de celle qui s’épanouissait dans la culture des brasseries. Le côtoiement anonyme a remplacé la conversation des Stammtisch. Les publics se mélangent peu. Le brassage des cafés où bourgeois et ouvriers se bousculaient n’existe presque plus.
Après le déclin de l’ère du café, assisterons-nous à la chute de la culture des fêtes estivales ? Ce n’est pas impossible. Le retour du bistrot, l’apparition de restaurants plus chaleureux, la hausse de la fréquentation des cinémas, des lieux culturels, des matches de hockey sur glace, est peut-être l’indice du retour à un lien social plus intense, plus permanent, qui rendra à son tour obsolète l’orgie des manifestations de plein air. jg
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