Poser les mêmes questions, si possible un peu bizarres, à des écrivains, espérer de leur part des réponses très ouvrées, très littéraires et ensuite publier le tout, voilà un exercice pas très original, déjà pratiqué par les surréalistes dans les années vingt du siècle passé. Or, quand il s’agit d’écrivains romands (ils y sont presque tous, à l’exception de Chessex) sollicités par Patrick Amstutz, qui répondent à un ensemble de cinq questions regroupées sous le titre général « la langue et le politique », le résultat s’avère passionnant.
Il est vrai que la dernière interrogation s’énonce ainsi : « S’il y a attachement à une terre et/ou à une langue partagée avec d’autres, cela n’exige-t-il pas une participation à la vie de la cité ? Comment dès lors se concrétise votre engagement de citoyen-ne ? ». Les réponses nous fournissent un bon panorama du rapport de l’écrivain romand avec l’engagement civique et la politique.
Le résultat ne surprendra pas. La politique est tenue à distance, en lisière, bridée, dans la presque totalité des cas. L’un des auteurs les plus connus, Pierre-Alain Tâche, écrit que « la finalité que j’assigne à l’action poétique exclut que cette dernière soit le vecteur d’un éveil politique ». Un autre poète, Pierre Voélin déclare « que la plupart des écrivains connus, dans ce pays, semblent se soucier comme d’une guigne de la question politique ».
Le Fribourgeois Jean-Dominique Humbert se demande si « l’attachement à la langue implique un engagement dans la cité ? ». La réponse qu’il donne est négative. Avec d’autres il mentionne quelques exceptions comme la création du canton du Jura et l’apport des écrivains, analyse confirmée par Alexandre Voisard, l’un des acteurs de cette période. Georges Haldas avoue franchement que le Proche-Orient ou les Balkans l’intéressent beaucoup plus que sa ville de Genève. Daniel de Roulet écrit que « son engagement auprès de ses concitoyens consiste à leur promettre qu’il restera à bonne distance pour continuer à mettre en scène leur monde ».
Anne-Lise Grobéty semble quelque peu désenchantée par sa dizaine d’années de députée socialiste au Grand Conseil neuchâtelois. Elle se demande si cet engagement ne signifie pas l’échec de la littérature. En fait, ce sont les écrivains les plus âgés, ceux qui ont accompli la traversée du 20e siècle qui accordent le plus d’importance à l’engagement politique. Yvette Z’Graggen parle de sa jeunesse nourrie de Sartre et de Camus et de l’importance d’utiliser sa « petite notoriété d’écrivain » pour signer des pétitions. Et bien sûr Gaston Cherpillod dans la grande pose de l’éternelle victime : mal vu de la droite, regardé de travers par la gauche, fiché à Berne et non réélu par un souverain dont il avait selon lui offusqué les sentiments. Terminons peut-être par Christophe Gallaz qui nous dit que « pour reprendre la phrase de Rimbaud, il faut savoir que la vraie langue comme le vrai pays [ ?] et finalement comme la vraie vie, sont ailleurs. » Beaucoup de nos écrivains apparaissent, dans ce très stimulant petit livre, comme définitivement nulle part, ce que personne ne songe à leur reprocher, mais ce que l’on peut parfois un peu regretter. jg
Patrick Amstutz, La langue et le politique, l’Aire, 2001.
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