Dans le plan final du film de Godard A bout de souffle, Jean Seberg court vers Jean-Paul Belmondo, abattu dans la rue par des truands. La bande-son est composée de bruits d’enfants que l’on distingue jouant au loin. Une telle scène est impensable aujourd’hui au cinéma. Elle suffit à dater le film. Les enfants ne jouent plus dans la rue.
Des espaces de liberté en voie de disparition
Les actes d’un colloque tenu ce printemps font le point sur la question de « La ville et l’enfant ». Dans un environnement urbain perçu à tort ou à raison comme plus dangereux, les enfants sont de plus en plus séparés de la vie en ville. Ils évoluent dans l’espace privé de l’appartement familial ou dans des terrains de jeu conçus pour eux. Or, cette solution, si elle ravit édiles et urbanistes, n’est pas du tout satisfaisante dans la perspective de la socialisation de l’enfant. L’apprentissage de la rue reste irremplaçable. Les aires de jeu sont des lieux clos et transparents. L’enfant y est accompagné par sa mère. Il n’y apprend pas l’indépendance, ou alors il risque de se retrouver dans un rapport d’infériorité face aux « grands » qui monopolisent l’espace, avant de prendre leur place quelques années plus tard. L’enfant a besoin de « lieux cachés », selon l’expression du géographe Jean-Bernard Racine, des chantiers, des terrains vagues, des endroits interdits. C’est là qu’il apprend peu à peu l’autonomie. Il faut qu’il puisse errer dans son quartier, quitte à se faire réprimander par les adultes.C’est bien là le problème.
Plus d’adulte sur le pas de la porte
Dans l’espace urbain traditionnel que nous avons connu jusqu’aux années soixante, la présence de commerçants avec un œil sur la rue et une certaine stabilité des habitants créait une sorte de surveillance mutuelle, avec ses inconvénients, mais qui maintenait l’enfant sous l’œil des adultes et limitait les risques de la rue. Aujourd’hui tout cela a disparu. Le développement des rues résidentielles et d’autres mesures du même type peuvent-ils restaurer ces espaces de sociabilité ? Avouons notre scepticisme. Les enfants d’aujourd’hui se font-ils courser par des concierges en furie parce qu’ils ont joué au foot là où il ne fallait pas ? Connaissent-ils l’expérience délicieuse de braver l’interdit et de jouer aux gendarmes et aux voleurs dans des parcs privés où il s’agit de ne pas se faire voir? Nous espérons qu’ils connaissent des sensations équivalentes. A propos de danger, nous grimpions aux arbres et les adultes horrifiés nous criaient de descendre. Ces scènes ont disparu. La ville est-elle vraiment devenue plus dangereuse ? Difficile à juger. En tous cas, la tolérance au risque, elle, a fortement diminué, alors que cette expérience est irremplaçable. jg
L’espace vital de l’enfant ou La ville et l’enfant, colloque organisée par Monique Skrivan, éd. Comportements, EPFL, 1999.
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