Loin des peurs irraisonnées comme des propos lénifiants, le dernier rapport de la Commission fédérale contre le racisme fait le point avec intelligence et précision sur les musulmans en Suisse1. Et d’abord quelques chiffres. Au début des années soixante-dix, moins de 20 000 musulmans habitaient en Suisse. En 1990, selon le dernier recensement officiel, ils étaient 152 000. Aujourd’hui, on estime que leur nombre est compris entre 200 000 et 250 000 personnes, soit autour de 3 % de la population résidente. Ils sont environ 40 % à bénéficier d’un permis C et 15 à 20 % d’entre eux sont réfugiés ou demandeurs d’asile.
Des différences
La différence très nette entre la dynamique islamique en Suisse alémanique et en Suisse romande est rarement mise en évidence. Elle fait l’objet d’une excellente contribution de Patrick Haenni. On le sait, les bords du Léman ont une longue tradition d’accueil d’intellectuels et de politiques du Maghreb et d’Egypte, dont Tarik Ramadan, le fils du fondateur des Frères musulmans, est un peu la figure emblématique. C’est un islam très « politique » qui s’affirme en Suisse romande dans la foulée des soubresauts de la crise algérienne avec d’ailleurs tout l’échantillon des opinions possibles.
La situation en Suisse alémanique est différente. Comme l’écrit Patrick Haenni, l’Islam s’est développé « à l’ombre des cheminées d’usine », dans la foulée d’une immigration turque essentiellement populaire et ouvrière. Les mosquées y jouent le rôle d’un club social. On trouve des photos du pays et même, suspendus, des maillots des grands clubs de football turcs. Le rôle de la religion n’est plus de fonder une identité, mais de maintenir certaines attaches.
Paradoxalement l’islam est plus militant en Suisse romande, car les Arabes et les Maghrébins y sont beaucoup plus intégrés que les Turcs de l’autre côté de la Sarine. La religion devient parfois une bouée de sauvetage à laquelle on se raccroche pour éviter d’être entièrement happé par le mode de vie local. En fait, dans les deux cas, la religion est un facteur d’intégration, en favorisant, tout en la niant, une progressive helvétisation. jg
1Tangram 7, bulletin de la Commission fédérale contre le racisme, « Les musulmans en Suisse », Berne, 1999.
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