Un livre casse le mythe de Bill Gates.
Il y a près de deux ans, Bill Gates fut accueilli à Berne comme un véritable chef d’état. Il annonça le « don » par Microsoft de deux mille logiciels Windows destinés à équiper des ordinateurs obsolètes que l’administration fédérale donnerait aux écoles. Bill Gates faisait l’objet d’une telle adulation dans la presse, que personne ne vit malice dans cette offre absurde. Nous fûmes parmi les rares à émettre de fortes réserves, aujourd’hui justifiées par les faits, puisque l’administration fédérale admet que ses vieux ordinateurs devront d’abord être remis en état, non pas donnés, mais vendus : la probabilité pour que des écoles s’y intéressent est à peu près nulle.
Rien qu’un homme d’affaires
Aujourd’hui la procédure antitrust a mis en lumière les méthodes contestables de Microsoft, dont la plupart d’entre nous, contraints et forcés, utilisons les produits. Un livre indispensable pour faire le point sur la question, Le hold-up planétaire, a été écrit par Dominique Nora, journaliste au Nouvel Observateur et Roberto Di Cosmo, un universitaire qui s’est fait connaître par des écrits fracassants contre la politique de Bill Gates (voir DP 1343).
Les auteurs dévoilent trois aspects de la stratégie microsoftienne : la volonté de monopole, la logique purement financière et l’absence de toute recherche technologique. Ces trois aspects sont recouverts d’un rideau de fumée qui tend à accréditer l’idée que Gates serait un petit génie ayant tout inventé à vingt ans, un peu comme Steve Jobs, le créateur d’Apple.
Or Bill Gates est un homme d’affaires, certes de grand talent, mais il n’est rien d’autre. Il n’a pas inventé le système d’exploitation DOS qui est à la base du succès de Microsoft. Il l’a acheté à une petite entreprise lorsqu’il a eu vent qu’IBM s’apprêtait à fabriquer des PC, à une époque où personne ne croyait au succès de cette industrie.
La mise sur le marché des programmes qui jouissent aujourd’hui d’un quasi monopole mondial comme le traitement de texte Word ou le tableur Excel résulte de la même stratégie : rachat de licences ou de petites entreprises innovatrices.
Au fond, il n’y aurait rien là de dommageable si cette logique de marché ne s’accompagnait pas d’une volonté obsessionnelle de création de monopole. Bill Gates a tout fait pour écraser ses concurrents, en les rachetant lorsqu’il pouvait, en jouant subtilement de l’incompatibilité entre ses propres produits et ceux du rival.
Au début de la diffusion réelle des micro-ordinateurs, il y a une quinzaine d’années, il existait par exemple un tableur d’excellente qualité, baptisé Lotus-1-2-3. Ce produit est arrivé avant le tableur Excel de Microsoft. Or, Lotus-1-2-3 ne fonctionnait pas très bien sur des ordinateurs équipés du système DOS. On suppose que c’était délibéré. Microsoft a fini par imposer son produit, moins bon et plus cher. Le hold-up planétaire démontre aussi comment Microsoft met sur le marché, dans la précipitation, des produits de mauvaise qualité, insuffisamment testés.
Beaucoup d’observateurs considèrent que les critiques actuelles à l’égard de Microsoft sont excessives, et que de toute manière aucun monopole ne peut vraiment durer dans une économie ouverte. C’est oublier que le système est aujourd’hui verrouillé : à l’exception de Macintosh qui détient 5 % du marché, il n’existe aucune alternative à Microsoft. Et Bill Gates a participé au sauvetage d’Apple, dans l’intérêt bien compris d’avoir au moins un Ð petit Ð concurrent. jg
Source : Roberto Di Cosmo, Dominique Nora, Le hold-up planétaire, la face cachée de Microsoft, Calmann-Lévy, 1998.
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