Un orage imminent imprègne l’air de chaleur et d’électricité. Le ventilateur est débranché et douze jurés s’installent lentement dans cette pièce attenante au Tribunal, pour exactement nonante-six minutes. Ils auront à décider de la vie d’un homme.
C’est ainsi le début d’un affrontement intense, aux forces disproportionnées, où chaque minute contient sa part d’émotion, de peur, de rebondissement et de coup de théâtre, pour se conclure avec une menace de mort et un sanglot qui ne s’éteint pas. Il faut se laisser enfermer dans ce huis clos (à mon avis bien plus dense que celui de Jean-Paul Sartre) dont la règle des unités de temps, de lieu et d’action est le fondement. Douze hommes en colère, de Sidney Lumet, nous fait vivre le tempo binaire et incroyablement limité du guilty ou not guilty (coupable ou non coupable).
Les premières minutes du film profilent les caractères et les motivations des personnages, brossent le tableau: deux témoins affirment avoir entendu ou vu un jeune homme poignarder son père. Ce jeune homme est arrêté au retour d’une séance de cinéma et par la suite traduit devant la cour. Si le jury décide qu’un «doute raisonnable» subsiste, il sera libéré; si ce n’est pas le cas, il passera sur la chaise électrique. Douze hommes composent ce jury, l’air est difficilement respirable, la pale du ventilateur est immobile et la décision doit être prise à l’unanimité, telle est la loi de cet Etat.
Un premier vote au scrutin secret révèle onze guilty contre un not guilty (Henri Fonda); la confrontation démarre avec ce que chacun a dans son affectivité, ses passions cachées, ses tripes. Et soudain vous, vous êtes dans la pièce, vous, avec votre sensibilité des fêtes de fin d’année, votre envie de remettre les choses en question et le courage renouvelé d’être seul contre tous.
Il y a certains films dont on ne sort pas indemne. C’est pourquoi il faut, en fin de compte, renoncer aux Enfants du paradis et aux Temps modernes et sélectionner Douze hommes en colère. La sanction du temps donne le label aux chefs-d’œuvre. Ce film date de 1957; il n’a pas d’âge.
Eric Braun
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