Le projet «Jura pays ouvert» est une réponse aux inquiétudes qui traversentle canton. Si le concept est clair la concrétisation manque d’envergure.
Au départ, une idée juste et incontestée : le canton du Jura doit accomplir un effort considérable s’il entend échapper à la marginalisation et au déclin démographique. Si l’on espère attirer de nouveaux habitants et de nouveaux investisseurs, il faut, pour ce faire, mobiliser les énergies et voir large: culture, famille, sport, développement économique, fiscalité, formation professionnelle, nouvelles technologies de la communication, écologie ? Jusque là, rien à redire, si ce n’est observer qu’il faudra de l’ambition, de la ténacité et ? du culot. Les Jurassiens ont su prouver qu’ils n’en manquaient pas, dans les grandes occasions!
Comment donc expliquer que le concept «Jura pays ouvert», proposé par le Gouvernement jurassien se heurte à l’opposition claire de la gauche et à un scepticisme non dissimulé d’acteurs d’autres horizons, la Chambre de commerce, par exemple ?
La réponse est simple : comme souvent, à la fin d’une législature, le Gouvernement lance un concept, à grands renforts médiatiques, mais «cale» ostensiblement lorsqu’il s’agit de passer à la réalisation. Dans le cas de «Jura pays ouvert», à part de multiples exposés, conférences et réunions pseudo-participatives, personne n’a encore rien vu.
Propositions controversées
Pour être plus précis, on n’a vu que deux propositions concrètes, qui précisément déclenchent la tempête:
n Un projet de baisse linéaire de l’impôt, mesure que le Gouvernement considère comme un premier pas indispensable pour améliorer l’attractivité du canton, mais hérisse la gauche qui y voit une mesure inéquitable et peu susceptible (à elle seule) de garantir les objectifs présentés, alors que les autres mesures sont renvoyées aux Calendes grecques ;
n La volonté de confier non à l’Etat (Gouvernement, Parlement, administration) mais à une fondation privée la conduite du projet, sous prétexte que «la fondation constitue une meilleure garantie de pérennité et d’efficacité» (selon le ministre Jean-François Roth, dans Le Quotidien Jurassien). On croit rêver : une fondation privée présentée comme plus efficace et plus pérenne que l’Etat cantonal voulu par les Jurassiens pour gérer l’un des plus grands projets publics présentés depuis l’entrée en souveraineté ! Le Parlement et le peuple (le Gouvernement semble, lui, y consentir béatement) amenés à céder leurs prérogatives de conduite des affaires publiques en faveur d’un quarteron d’administrateurs ! La corde est tellement épaisse et l’abandon de la souveraineté cantonale tellement manifeste que la gauche a d’ores et déjà indiqué son intention de saisir la Cour constitutionnelle, dès la deuxième lecture du projet par le Parlement.
Gâchis et temps perdu
«Jura pays ouvert» bat donc ostensiblement de l’aile. Si le projet passe la rampe du Parlement, il devra subir l’examen de la Cour constitutionnelle, puis obtenir l’aval du peuple car le Parlement a décidé (tout de même) de présenter l’affaire en référendum obligatoire. A vue humaine, et compte tenu du fait que les élections cantonales de cet automne ne vont pas accélérer le calendrier, rien donc de concret avant l’été 2003 ? Une année perdue !
On ose espérer que le Gouvernement prendra conscience du gâchis qui se prépare et qu’il reverra sa copie. Il serait navrant qu’une idée prometteuse et mobilisatrice se perde dans les sables parce que ses concepteurs tiennent à en faire un petit hochet bien à eux.
Le Jura mérite mieux que cela et ses habitants ont prouvé qu’ils savaient relever des défis et assumer des responsabilités. Nul besoin d’administrateurs privés pour le faire à leur place !
Par Pierre-Alain Gentil, maire de Delémont, Conseiller aux Etats
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