Comme première femme ayant porté le titre et exercé la fonction de présidente de la Confédération, Ruth Dreifuss entrera dans l’histoire. Elle n’était pas, apparemment, préparée à cette première, n’ayant exercé aucun mandat dans un exécutif ou au Parlement national. Jean-Pascal Delamuraz, qui, lui connaissait les échelons du cursus honorum, la disait hors-sol.
Elle a en effet d’autres racines : des responsabilités nationales qu’elle a assumées à l’USS, son bilinguisme avec, en français, une pointe d’accent genevois, son amour du Tessin et encore sa connaissance du Tiers Monde.
Chronologiquement la première, mais pour quel usage du pouvoir ? Ruth Dreifuss a dû affronter trois épreuves. Assurer la mise en place de la LAMal, loi qu’elle n’avait ni conçue, ni préparée. (Rappelons que cette loi a apporté aux femmes l’égalité des cotisations, alors qu’auparavant elles étaient pénalisées en raison du risque de maternité !). Elle a souhaité que cette loi puisse d’abord déployer tous ses effets, heureux ou détestables, avant que soient apportés les correctifs, mais avec quelle majorité ? Son projet d’assurance-maternité lui a été refusé, mais par le peuple après la défection de quelques femmes bourgeoises influentes. Mais le sillon a été creusé. Le plus difficile a été de gérer l’ambiguïté du principe d’égalité hommes-femmes. Car la femme s’était vue attribuer, par la société traditionnelle, à cause de sa prétendue faiblesse ou de sa dépendance, quelques avantages sociaux : âge de la retraite, rente de veuves. Avantages aujourd’hui contestés par la droite au nom de l’égalité, sans que cette égalité soit pleinement reconnue et facilitée dans le secteur économique et professionnel.
L’action d’un magistrat n’est jamais achevée. Aucun ne laisse derrière lui un bureau dégagé, tous dossiers bouclés. La gestion politique est une course de relais. En revanche, chacun marque son passage par un style. Et c’est par son style que Ruth Dreifuss a assuré sa première. Aucun ego surdimensionné ne la pousse à s’afficher sur le devant de la scène politique, comme si souvent. Elle est naturellement citoyenne. Elle prend son train comme tout le monde, sans affectation démocratique. Son sens de l’écoute, mieux sa patience d’écoute est inépuisable. Elle est généreuse de son temps et de son engagement. Elle a cette qualité plutôt rare d’aimer les gens. C’est ce qui, à travers les désaccords politiques, lui a rendu la collégialité ou le travail en commission parlementaire plus facile et parfois ludique. Cette qualité se double d’un don de parole exceptionnel. On sait que la prise de parole est un exercice difficile pour chacun certes, mais particulièrement pour une femme dont certains guettent souvent sans bienveillance la manière dont elle pose ou pousse sa voix. Ruth Dreifuss a non seulement une voix remarquablement timbrée, mais surtout elle ne parle jamais la langue de bois. Plus que de la répartie, elle a le sens de la réponse, nourrie par sa culture, originale, diverse par son don des langues et sa judéité. Elle peut parler avec la même chaleur d’un chemin de montagne tessinois aux escaliers de pierre, que de la collection Rosengart ou du coût des médicaments. Cette authenticité a été perçue aussi bien par le militant de base, ou les patrons de la recherche scientifique, que par les interlocuteurs internationaux de la Suisse, à laquelle elle a rendu d’éminents services quand les fonds en déshérence et la pression américaine déstabilisaient notre diplomatie. Ruth Dreifuss a réussi plus qu’une première chronologique. ag
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