En se proposant d’acheter deux quotidiens régionaux, La Presse Riviera Chablais et La Presse Nord Vaudois, Edipresse se mettra en position ultra dominante. La Commission de la concurrence, qui devra donner son aval, ne pourra pas se référer simplement au marché; elle devra poser les règles de la mission de la presse.
Fort d’une promesse de vente, Edipresse, propriétaire de 24 heures, du Matin, de la Tribune de Genève, co-actionnaire du Temps, ajoutera à sa collection deux grands quotidiens régionaux, celui de La Presse Nord Vaudois et celui de La Presse Riviera Chablais. La Commission de la concurrence devra se déterminer avant que la vente soit réalisée : y a-t-il abus d’une position dominante ? A première vue, et sur la seule énumération des titres et de leur tirage, la réponse ne peut être qui oui : position dominante renforcée il y aurait.
Le métier d’éditeur
Edipresse plaidera sa cause avec deux arguments : la spécificité du travail d’éditeur et l’étroitesse du marché. L’éditeur, dira Pierre Lamunière, fait un métier qui consiste à mettre sur le marché des produits attrayants, capables d’attirer lecteurs et publicité. Il ne règle pas le contenu quotidien d’un journal. L’éditeur n’est pas un journaliste en chef. Il ne saurait donc y avoir de position dominante sur l’opinion. Pierre Lamunière ne déclare-t-il pas ouvertement que les affaires politiques vaudoises ne l’intéressent pas, étant plus soucieux de tirer profit de la clientèle vaudoise, partiellement captive, pour investir en Espagne, au Portugal ou en Pologne. Il n’en demeure pas moins que tout éditeur possède deux pouvoirs de caractère dominant. Il nomme le rédacteur en chef et ce choix peut être une orientation. Il intervient dans les grands équilibres du journal : plus de sport, plus de local, moins de politique, etc. Or cette répartition des cahiers et des rubriques concerne précisément le rachat des titres Nord et Riviera.
Marché trop étroit
Le deuxième argument que l’éditeur fera valoir auprès de la Commission de la concurrence est l’étroitesse du marché. Il y a des cantons qui ne connaissent qu’un seul titre. Ce quotidien est de facto en position dominante absolue. Où est la concurrence ? Peut-on d’ailleurs raisonner en terme de marché quand il n’y a que deux acheteurs potentiels : Edipresse et Hersant ? Refuser la vente à Edipresse, c’est l’offrir à Hersant à un prix influencé à la baisse. Où est le jeu du marché ? En fait, la Commission de la concurrence se voit dévolue, en matière de presse, une tâche qui n’est plus celle du respect de la concurrence mais celle de la garantie de l’accès à une information écrite non délibérément orientée. S’il peut racheter ces deux titres, le souci premier d’Edipresse sera qu’ils ne soient pas en position de concurrence. 24 heures sera invité à ne pas développer ses locales et régionales du nord et de l’est, de même que les quotidiens régionaux seront invités à laisser de la place à un journal qui donnerait plus de pages à l’internationale, la nationale et la cantonale. 24 heures sera poussé (c’est déjà annoncé) à développer les pages de la région lausannoise. Le paradoxe de la concentration en une seule main sera que les Vaudois n’auront plus un journal commun portant le même intérêt à chaque partie du canton, reflet de son unité et de son identité.
La Commission de la concurrence sera donc amenée à réfléchir non pas au jeu d’une concurrence, de toute façon limitée de fait, mais à la manière d’obtenir, si elle autorise le rachat, des garanties sur les pouvoirs réciproques de l’éditeur et des journalistes. Cela devrait la conduire à réclamer non seulement l’élaboration d’une charte éditoriale, mais encore à définir les moyens de la faire respecter, peut-être par ouverture du capital ou par délégation de droits de vote aux instances chargées d’appliquer la charte. Le problème-clé de la décision sera le statut de 24 heures, même si Edipresse fait valoir que sa raison sociale n’a pas à être discutée puisque l’objet de la requête n’est « que » l’autorisation d’acheter deux quotidiens régionaux. ag
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