Jean François Billeter a la réputation non contestée d’être un des meilleurs connaisseurs de la Chine, de son histoire et de sa culture. Celui qui ouvre le petit opuscule, publié aux Editions Allia1, en lecteur désireux de progresser en sinologie, sera non pas déçu, mais renvoyé à sa propre histoire contemporaine. Car la question première pour Billeter, ce n’est pas comment mieux connaître la Chine, mais y a-t-il un autre modèle, une autre civilisation possible que celle de rationalité économique qui, dès l’Europe de la Renaissance, s’est étendue au monde entier par réaction en chaîne ? A cette interrogation, Jean François Billeter donne une réponse pessimiste mais non résignée. Il ne souhaite pas que l’on s’accroche au culturalisme, à la recherche de cette identité qui rend superficiellement différenciées les cultures sur fond de rationalisme économique dominant. Il lui faut donc expliquer pourquoi la Chine n’est pas une alternative, rappeler les catastrophes des révolutions maoïstes et le coût humain du Grand Bond, des Cent Fleurs et de la révolution culturelle. Et aujourd’hui, où la modernisation est moins brutale, les ravages de la corruption, de la bureaucratie, de la destruction des structures familiales ou de l’environnement urbain.
Mais la question de l’originalité constitutive d’un peuple et, en l’occurrence, celle du peuple chinois n’est pas éludée pour autant. Dans un pénétrant essai complémentaire sur la nature du pouvoir politique chinois, Billeter fait remonter à la dynastie des Tcheou l’organisation d’un pouvoir ritualisé, hiérarchisé, immanent au social. Le pouvoir impérial « n’a jamais été limité dans son principe Ð ni par un contre-pouvoir, ni par le droit, ni par une transcendance éthique ou religieuse qui fût indépendante de lui, et qui pût être invoquée contre lui ». Le Parti communiste chinois et sa nomenklatura se sont coulés dans ce moule impérial et aristocratique hérité de l’histoire. La révolution serait en Chine de débattre non seulement des questions d’actualité, mais aussi de l’histoire (au lieu de vanter un passé millénaire mythifié). Mais ce débat pour l’instant ne peut avoir lieu et voilà pourquoi la Chine est muette. ag
1Jean François Billeter, Chine trois fois muette. Essai sur l’histoire contemporaine et la Chine, suivi du Bref essai sur l’histoire chinoise d’après Spinoza, Editions Allia, Paris, 2000.
Nous recommandons à nos lecteurs l’excellent et original catalogue des éditions Allia, 16 rue Charlemagne Paris IV (F-75004 Paris), E-mail : edalia@claranet.fr
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