Classer, hiérarchiser. Les sociétés obsédées par la compétition n’y échappent pas. On connaît les multiples classements des universités dont nous avons souvent souligné les faiblesses (DP 1748 ou DP 2123, par exemple). Depuis 2009, le laboratoire d’idées libéral avenir suisse calcule l’indice de liberté des cantons suisses. Son édition 2020 voit la principauté du Liechtenstein – nouvelle venue dans la liste – sortir en tête et Genève tenir la lanterne rouge.
De quelle liberté s’agit-il ? avenir suisse ne cache pas son jeu: il s’agit de comparer les «cantons pour ce qui est de l’acceptation et de la diffusion des principes libéraux». La liberté consisterait donc en l’absence d’entraves imposées de l’extérieur aux individus. La liste des indicateurs utilisés révèle que ces entraves, qu’elles soient de nature économique ou civile, résultent toutes de la puissance publique.
Chiens bannis, liberté entamée
Pas question de saisir les phénomènes sociaux qui restreignent l’autonomie individuelle, comme la disparité croissante des revenus et de la fortune, l’inégalité des chances en matière de formation ou encore les discriminations de sexe. Selon avenir suisse, la densité des conventions collectives de travail mesure la limitation de la liberté économique, alors qu’elle reflète aussi le degré d’autonomie des salariés.
L’établissement d’un tel classement implique de disposer de données quantifiables. Cette condition montre les limites de l’exercice. Ainsi dans la liste des indicateurs de liberté figure aussi bien l’étendue des droits politiques des étrangers que la fréquence des radars fixes, la protection des non-fumeurs ou l’interdiction de certaines races de chiens.
Bref cette liste mélange les pommes et les poires, et elle privilégie la liberté des uns – les conducteurs téméraires, les fumeurs, les détenteurs de canidés – au détriment de celle des autres. Quand cette même liste ne fait pas référence à un passé révolu, lorsqu’elle considère l’exigence de juges professionnels comme une restriction de la liberté des personnes aptes à exercer cette activité.
Le choix des indicateurs et le sens qui leur est donné par rapport à la liberté montrent que cette dernière ne peut résider que dans les mécanismes du marché. Une charge fiscale modérée, une quote-part de l’État modeste, une fonction publique aux effectifs réduits tout comme de faibles investissements publics dans le logement favorisent un marché libre, donc la liberté des agents économiques.
Échelle qui confine à l’absurde
avenir suisse devrait actualiser ses connaissances économiques. L’appréciation de ces indicateurs sur l’échelle de la liberté implique de déterminer la qualité de l’action publique. Des impôts utilisés de manière optimale et une fonction publique compétente fournissent des prestations indispensables à l’exercice de la liberté individuelle et au fonctionnement efficace du marché.
Juger tous les cantons à la même aune aboutit à des jugements absurdes. Si la décentralisation peut se révéler justifiée pour de grands cantons à la géographie diversifiée et garantir des espaces d’autonomie, elle n’a guère de sens pour les cantons-ville de Bâle et Genève.
Limité à des indicateurs quantitatifs et disparates interprétés à la seule lumière de l’idéologie libérale, le classement via l’indice de liberté d’avenir suisse n’apporte aucune information significative. Tout au plus permettra-t-il à des rédactions en mal de copie de boucher quelques trous et d’imaginer un titre aussi aguicheur que trompeur.
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