
C’est le monde à l’envers. Alors que le Conseil fédéral peut compter sur le soutien de la gauche, des banques et d’economiesuisse, ainsi que sur celui des assurances, la droite unie met en échec le gouvernement.
On parle ici de la révision de la loi fédérale sur le blanchiment d’argent (LBA). L’affaire s’avère assez technique et ne passionne pas les foules. Pour faire simple, la Suisse veut adapter sa législation en tenant compte des recommandations du Groupe d’action financière (Gafi).
Cet organisme intergouvernemental élabore des normes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et évalue régulièrement la qualité de leur mise en œuvre par ses membres. Or, dans son rapport de 2016, si le Gafi relève la bonne qualité d’ensemble du dispositif helvétique, il évoque néanmoins quelques points faibles.
En particulier le fait que les personnes prêtant la main à la création, la gestion et l’administration de sociétés ne sont pas soumises au devoir de diligence exigé par la LBA, dès lors que leurs prestations n’impliquent pas de flux financiers.
Serrer la vis
Le Conseil fédéral veut combler cette lacune en assujettissant ces «conseillers» à la loi. Après l’ère de l’opacité, la stratégie officielle vise une place financière dont la réputation et l’attractivité reposent sur son intégrité. Or ne pas suivre les recommandations du Gafi, c’est s’exposer à des remontrances qui risquent d’égratigner cette réputation.
L’implication de plusieurs avocats et intermédiaires financiers dans des affaires douteuses révélées par nombre de scandales (Panama papers, Paradise papers, Petrobras, Luanda…) justifie de serrer la vis. L’industrie bancaire tout comme les milieux économiques appuient cette option. Pas les avocats.
Au cours de la session de printemps 2020, le Conseil national refuse d’entrer en matière. Il considère l’élargissement du devoir de diligence – obligation de communiquer tout soupçon de délit de blanchiment et contrôle du respect de cette obligation par un organe externe de révision – à ces conseillers comme une menace sur le secret professionnel des avocats.
Résistance puérile
On peut discuter du flou relatif de la définition et des conseillers et des activités concernées, comme l’a déclaré l’avocat neuchâtelois Baptiste Hurni, partisan de la réforme. C’est précisément à cela que sert habituellement la discussion de détail : préciser et améliorer le texte proposé, trouver des solutions de compromis.
Mais la majorité n’en a pas voulu, après un court débat où seuls deux adversaires du projet – des avocats – ont pris la parole. C’est dire que l’affaire était entendue avant même ce débat, malgré le plaidoyer d’Ueli Maurer rappelant que le projet comportait encore sept autres mesures, et se déclarant prêt à se rallier à une meilleure formulation.
La majorité du Conseil national a suivi une tactique ancienne et pourtant perdante à terme: s’opposer aussi longtemps que possible à toute régulation efficace des activités financières, puis céder lorsque la pression devient trop forte. Cette forme de résistance s’avère puérile et ne peut qu’affaiblir la réputation de cette place financière dont on ne cesse pourtant de vanter l’excellence.
Le Conseil des États va probablement entrer en matière lors de la prochaine session d’automne. Mais s’il suit l’avis de sa commission compétente, il biffera tout simplement la disposition sur les conseillers sans même tenter de la clarifier. Les avocats auront donc gain de cause au détriment des intérêts à long terme d’une place financière plus transparente.
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