
Les statistiques, lorsqu’elles reflètent des moyennes, ne donnent qu’une image très imprécise de la réalité. L’augmentation du nombre de logements vacants et la légère baisse des loyers ne traduisent pas la situation dans les grandes villes. Y trouver un appartement à loyer abordable relève du parcours du combattant. Il n’est pas étonnant dès lors que l’initiative populaire «Davantage de logements abordables» bénéficie d’un fort soutien dans l’opinion.
Malheureusement, le débat autour de cette initiative laisse dans l’ombre des mécanismes qui expliquent tout à la fois le niveau des loyers et la pénurie de logements abordables pour les revenus modestes et moyens.
Un droit peu effectif
La Constitution fédérale (art. 41) enjoint la Confédération et les cantons à faire en sorte que «toute personne en quête d’un logement puisse trouver, pour elle-même et sa famille, un logement approprié à des conditions supportables». Elle confère à la Confédération la compétence de légiférer contre les abus en matière de bail à loyer (art. 109, compétence concrétisée dans le Code des obligations (art. 269) et précisée par la jurisprudence (ici et là).
Sur cette base, le rendement maximum d’un bien immobilier ne doit pas dépasser de plus de 0,5 point le taux hypothécaire de référence, actuellement fixé à 1,5%. Soit un plafond de 2%. Or selon Credit Suisse, le rendement moyen s’élève à 3,4%. En 2017, la banque Raiffeisen estimait à environ 14 milliards le surcoût pour les locataires, soit des loyers 40% trop élevés. Une situation parfaitement illégale, s’indigne Jacqueline Badran, conseillère nationale socialiste et membre du comité directeur de l’Association suisse des locataires. Malheureusement ces derniers, par crainte de perdre leur logement, ne font pas suffisamment usage de leur droit à demander une baisse de loyer.
Les investisseurs poussent les prix à la hausse
La WoZ nous rend attentifs à un phénomène sans doute pas étranger à la pénurie de logements abordables: la montée en puissance des investisseurs professionnels (caisses de pension, assurances, fonds de placement et sociétés immobilières) qui n’ont cessé d’élargir leur emprise sur le marché locatif. En 20 ans, cette part est passée de 29 à 40% du parc, soit un capital de 440 milliards. A la recherche de placement, ces investisseurs poussent les prix vers le haut. Par contrecoup, les loyers doivent suivre le mouvement pour assurer un bon rendement. D’où la démolition ou la transformation de logements à loyers abordables au profit d’appartements de standing. D’où la priorité donnée à la construction d’immeubles «haut de gamme», gage d’une meilleure rentabilité.
L’acquisition de son logement reste le privilège d’une petite minorité. Les prix élevés et les conditions liées à un prêt (fonds propres, niveau de revenu) ne permettent pas de profiter des taux hypothécaires actuellement très bas. Ainsi pour de trop nombreux habitants, que ce soit par le biais de l’acquisition ou de la location, la garantie constitutionnelle d’un logement adéquat à prix raisonnable n’a guère de valeur.
Cette situation n’émeut guère les milieux immobiliers qui n’ont de cesse d’affaiblir le dispositif de protection des locataires: ainsi des initiatives parlementaires Egloff, UDC/ZH (assouplissement des critères définissant un loyer abusif), Feller, PLR/VD (découpler le rendement autorisé du taux hypothécaire de référence) et Nantermod, PLR/VS (limiter les abus aux zones de pénurie), émanant de députés liés à cette branche économique.
Dans ces conditions, l’initiative pour des logements abordables constitue un pare-feu indispensable contre les prétentions financières du secteur immobilier. Mais il ne peut s’agir que d’une première étape. L’obligation de construire une proportion de logements d’utilité publique, si elle peut soulager financièrement une partie des locataires, laisse le champ libre à la spirale inflationniste sur le reste du marché. Le sol, bien non extensible, restera-t-il longtemps encore objet de spéculation, garantissant à ses propriétaires une rente ne correspondant à aucune prestation substantielle? A suivre.
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