
On attend de la justice qu’elle se prononce en toute indépendance, à l’abri des pressions des autres pouvoirs publics et des groupes d’intérêts. C’est d’ailleurs bien ce que précise la loi sur le Tribunal fédéral à son article 2.
L’UDC n’est pas de cet avis. Elle a vivement critiqué un récent arrêt du Tribunal fédéral autorisant la transmission à la France de données bancaires de clients français d’UBS. Tel est son bon droit. Mais certains de ses élus ont franchi une ligne rouge en prenant violemment à partie un juge issu de ce parti.
Ce dernier a fait pencher la balance en faveur de cette décision favorable au fisc français: un comportement «incompréhensible» pour le conseiller national et banquier Thomas Matter qui ne s’imagine pas accepter la réélection d’Yves Donzallaz, le juge incriminé, alors que son collègue Pirmin Schwander évoque l’introduction d’une procédure de révocation.
Ce n’est pas première fois que ce juge d’origine valaisanne se trouve dans le collimateur de son parti. En 2015 déjà, il avait approuvé le fameux arrêt du TF établissant la primauté de l’Accord de libre circulation sur l’initiative de l’UDC «contre l’immigration de masse». L’hebdomadaire Die Weltwoche, proche de l’UDC, le dénonçait alors comme «dissident» et «internationaliste». Le juge avait décliné une citation à comparaître devant les instances de l’UDC. En clair, nos souverainistes conservateurs attendent de «leurs» juges qu’ils suivent fidèlement la ligne du parti.
La colère de l’UDC est d’autant plus paradoxale que cette dernière avait loué les qualités de ce juge au moment de sa candidature et manifesté son mécontentement qu’à deux reprises elle n’ait pas été retenue par le Parlement.
Voilà qui montre deux faiblesses majeures du système judiciaire helvétique: le monopole des partis dans la sélection des juges et la durée limitée du mandat des magistrats, soumis à réélection périodique. Deux caractéristiques qui menacent potentiellement l’indépendance de la justice, comme l’a souligné le Groupe d’Etats contre la corruption du Conseil de l’Europe (Greco) dans son dernier rapport d’évaluation sur la Suisse.
Aucun juge non affilié à un parti n’a été élu au TF. La sélection, effectuée par la commission judiciaire du Parlement, tient certes compte des qualifications des candidats, mais veille au respect de la diversité linguistique et à l’équilibre politique.
Ce mode de sélection, note le Greco, ne garantit pas l’élection des personnes les plus qualifiées. Quant aux magistrats élus, ils doivent verser une contribution financière au parti qui les a présentés. Cette obligation, tout comme le fait d’être soumis à réélection tous les 6 ans, met les juges dans une situation peu conforme à l’exigence d’indépendance du pouvoir judiciaire.
Cette récente actualité ne peut qu’encourager l’initiative populaire pour la justice, qui sera déposées lundi 26 août à la Chancellerie fédérale. Elle vise précisément à supprimer ces faiblesses: remplacement de l’élection par le Parlement par un tirage au sort parmi des candidats jugés personnellement et professionnellement aptes; durée du mandat étendue jusqu’à cinq ans après l’âge normal de la retraite; procédure de révocation dûment encadrée.
Dans une excellente synthèse (Revue de droit suisse, vol.138, p.269 s.), Niccolo Raselli, juge fédéral durant 17 ans, trie le bon grain de l’ivraie charriée par cette initiative.
Oui, il faut en finir avec la mainmise des partis sur la justice. Mais le tirage au sort ne garantit pas l’expression de la diversité de la société, pas plus qu’il n’assied la légitimité démocratique de l’institution judiciaire. Deux conditions paraissent nécessaires pour briser l’influence des partis. D’une part, attribuer la sélection des candidatures à une commission indépendante, désignée soit par le Conseil fédéral soit par le Parlement. S’il revenait toujours à l’Assemblée fédérale d’élire les juges sur la base de cette sélection, l’extension de la durée du mandat, non-renouvelable – par exemple 15 ou 20 ans et non pas jusqu’à la retraite comme le prévoit l’initiative – préserverait les élus d’éventuelles pressions politiques.
Une procédure de révocation en cas de faute professionnelle grave ou d’incapacité prolongée à exercer constitue la contrepartie de la longue durée du mandat. Une procédure qui ne devrait pas relever de la compétence d’un organe politique, mais d’une instance juridictionnelle.
Si l’initiative populaire n’est pas exempte de défauts, elle a au moins le mérite d’ouvrir le débat sur une question d’importance pour l’équilibre des pouvoirs et l’indépendance de la justice.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!