
Les géants du numérique se prennent pour des puissances quasiment souveraines (DP 2251). Et les collectivités, Confédération en tête, multiplient les plateformes pour communiquer à l’interne, entre elles et avec les chers administrés et autres tiers.
Dans sa première séance d’après les vacances, le Conseil fédéral a pris deux options significatives, concernant d’une part la vignette autoroutière et, d’autre part, le registre des adresses de tous les habitants du pays.
Le tout alors que la majeure partie de la révision totale de la loi sur la protection des données, lancée en septembre 2017, n’a même pas encore passé le cap du Conseil national. L’issue du débat annoncé pour septembre reste des plus incertaine, notamment en ce qui concerne les données accumulées par des entreprises et autres fournisseurs de biens et de services aux particuliers.
La vignette électronique
Inscrite dans le programme de législature 2015-2019, la vignette électronique fait désormais l’objet d’un Message aux Chambres qui devraient se prononcer dans le courant de l’année prochaine.
Par rapport au projet mis en consultation, le Conseil fédéral a renoncé à une perception exclusivement électronique de la taxe de redevance pour l’utilisation des routes nationales. Cette modalité unique d’acquittement «ne serait pas bien acceptée» – bel euphémisme gouvernemental.
Plutôt que de trier, le compromis présenté cumule les procédures et les coûts. La solution finalement choisie, celle d’une vignette électronique proposée en option à côté de la vignette autocollante maintenue, ne résulte pas de la procédure de consultation organisée dans le courant de 2017. Mais bien d’une motion déposée en juin 2018 par le conseiller national Martin Candinas (PDC/GR) et promptement acceptée par le Conseil fédéral cinq mois plus tard.
Ainsi donc le projet de nouvelle loi soumis aux Chambres fait le pari d’une vignette électronique en option qui devra s’imposer d’elle-même en quelques années. Le temps que les détenteurs des véhicules légers concernés par une taxe prélevée en fonction des numéros de plaques et payable par ordinateur ou téléphone portable renoncent à coller le petit carré sur leur pare-brise.
Indépendamment des coûts engendrés par la conception, l’installation et l’exploitation d’un système de vignette électronique, ce système soulève la question d’une éventuelle délégation de la perception de la redevance et de l’exécution des contrôles. Dans les deux cas, les avis sont clairs: c’est oui pour les cantons et non pour des tiers – No Billag aura laissé des traces.
Reste l’important problème de la protection des masses de données rassemblées en vue de l’application du système de la vignette électronique, personnalisée contrairement à l’anonyme autocollant actuel. La procédure de consultation a révélé de fortes craintes à cet égard, relatives en particulier à l’établissement de profils de mobilité d’où pourrait sortir, qui sait, la tarification de la mobilité redoutée tant par les partisans de la vignette électronique (PLR) que par ses opposants (UDC).
Les adresses des personnes physiques
La protection des données, ou plus précisément celle des personnes sur lesquelles les grands fichiers rassemblent, traitent et transmettent des informations individualisées, représente l’un des principaux problèmes à l’ère du big data et des algorithmes.
Le Conseil fédéral prend donc ses précautions au moment de mettre en consultation son projet de loi fédérale portant création d’un service national des adresses (SNA). Ce vaste fichier permettra aux administrations fédérales, cantonales et communales d’accéder, dans le cadre de leurs activités, aux adresses de domicile de tous les habitants de la Suisse.
Placé sous l’autorité de l’Office fédéral de la statistique, habitué à traiter des données catégorielles et non personnalisées, le SNA doit faire l’objet d’une loi ad hoc, aussi exhaustive que précise: contenu de son système d’information, octroi des autorisations d’accès, protection des données, mode de financement et couverture des coûts.
Comme il convient, toute personne physique domiciliée en Suisse peut obtenir sur demande les données qui la concernent ainsi que «les informations générées par la consultation du système d’information et par le traitement des données qui y sont enregistrées». La durée de conservation et la destruction de ces données sont également précisées.
Ainsi se poursuit la constitution de l’Etat en ses registres et plateformes. Les contacts directs, les guichets, les documents papier font progressivement place aux informations par Internet, aux messages virtuels ou aux sessions audiovisuelles sur très petit écran.
Reste à savoir si l’immédiateté spatiotemporelle favorise une communication et une transparence authentiques entre l’Etat et ses interlocuteurs individuels, en leurs différentes qualités de citoyens, habitants, contribuables, usagers, parents d’élèves.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!