Mort en 1990, Sebastian Haffner a laissédes souvenirs nuancés et pertinents
de l’époque hitlérienne. Ils paraissent aujourd’hui.
Où sont donc passés les Allemands ? Au printemps 1933, de nombreux Européens se posent cette question devant l’effarant spectacle offert par la « révolution hitlérienne ». Sebastian Haffner, jeune magistrat stagiaire, se la pose également, et se réfugie en Grande- Bretagne pour ne pas devoir composer avec ce régime totalitaire.
Sa réponse vient de paraître sous forme d’un recueil de souvenirs rédigés de 1933 à 1938 et demeuré à l’état de manuscrit jusqu’au décès de l’auteur en 1990. Je ne saurais trop recommander la lecture de ce texte à tous ceux qui cherchent à comprendre comment Hitler s’est imposé, mieux encore comment l’hitlérisme s’est emparé de la société allemande.
Les événements qui jalonnent la prise du pouvoir sont connus. Mais ni l’incendie du Reichstag Ð dont l’origine demeure toujours controversée Ð, ni l’attribution des pleins pouvoirs à Hitler pour quatre ans, grâce au ralliement du parti du Centre, ni la destruction des institutions de l’Etat de droit, ni la nazification de la société civile ne suffisent à l’analyse de cette funeste année 1933.
Il y a quelques années, un jeune sociologue américain, d’origine juive, suscitait un vaste débat en rendant l’ensemble du peuple allemand responsable d’Auschwitz. Le point de vue de Sebastian Haffner est plus nuancé. Mais il n’hésite pas à considérer que les Allemands ont souffert, souffrent sous le troisième Reich d’une maladie mentale qui dévoile progressivement ses effets.
En réalité, la fatalité de l’Allemagne ne date pas de cette époque. Chaque étape de la formation de l’Etat-nation est un pas de plus vers la destruction des valeurs de l’histoire allemande. Nietzsche l’a bien compris en dénonçant dans l’œuvre de Bismarck le triomphe de l’esprit philistin et le culte de la force. Le nationalisme allemand est véritablement pathologique.
Le tour de l’Europe viendra. Mais en 1933, la république démocratique est bien la première victime du totalitarisme nazi. Et les premiers occupants des camps de concentration, créés par les auxiliaires bruns ou noirs de la terreur policière, sont des Allemands.
Le livre de Sebastian Haffner est un rappel historique qui n’a pas perdu toute pertinence à notre époque. Jean-Claude Favez
Sebastian Haffner, Histoire d’un Allemand, Actes Sud, 2002.
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