L’histoire du combat contre le SIDA est exemplaire. Les espoirs et les déceptions se sont succédé au rythme des relations tumultueuses entre chercheurs et bailleurs de fonds pris en otages par les médias.
Beaucoup de chiffres pour la journée mondiale du SIDA. J’en retiens deux : en 2002, environ trois millions d’êtres humains sont décédés de cette maladie, mais on estime à cinq millions le nombre de personnes nouvellement infectées. L’épidémie continue donc sa progression.
Il y aura bientôt vingt ans que l’agent du SIDA, le VIH, a été identifié. Les deux grands protagonistes de cette découverte, Luc Montagnier (Institut Pasteur, Paris) et Robert Gallo (Université du Maryland, Boston) se sont (presque) réconciliés alors qu’ils avaient perdu leur temps dans des péripéties judiciaires qui ont même amené, à un moment donné, un accord entre le premier ministre Jacques Chirac et le président Ronald Reagan.
Malgré l’évolution terrible de la pandémie, il faut relever que la recherche sur le SIDA est l’histoire d’un succès. En effet, le VIH a été identifié comme la cause du SIDA deux ans et demi après les premiers cas de maladie (1981). Il a fallu deux autres années seulement pour que des tests de sang soient commercialisés, réduisant ainsi à zéro (dans les pays riches) la transmission par transfusion sanguine. Deux ans plus tard encore c’est l’introduction du premier agent thérapeutique anti-VIH, l’AZT.
La recherche malgré les doutes
Les chercheurs, actifs dans le domaine des rétrovirus, ont longtemps mené une existence discrète. A partir de modèles animaux on postulait dans les années septante l’origine rétro-virale de cancers humains ; les résultats cliniques tardant à venir, les programmes de recherche furent arrêtés. L. Montagnier raconte, par exemple, les années infructueuses à détecter des rétrovirus dans des cultures cellulaires obtenues par des biopsies de patients. Ces équipes ont pu se maintenir car elles avaient réussi, à l’intérieur d’un programme, voulu par les instances politiques, à développer les outils de base de la recherche fondamentale, en particulier des protocoles toujours plus efficaces de cultures de cellules ; quand les programmes officiels ont été interrompus, ces équipes étaient protégées par des institutions puissantes capables d’en assurer le maintien à long terme. Il faut ajouter à cela la collaboration intense de laboratoires «périphériques», et voilà probablement les raisons qui expliquent la rapidité de l’identification du virus du SIDA.
La promptitude avec laquelle l’AZT a été introduite est due à la détermination des organisations de malades, qui ont fait «sauter» certaines étapes canoniques de l’expérimentation clinique.
Les nuisances médiatiques
Rétrospectivement, la médiatisation intense de chaque «petite» découverte fut nuisible. Ainsi, le non-respect d’un embargo par un journaliste, provoqua une conférence de presse hâtive de la part des supérieurs de R. Gallo – sans invitation de L. Montagnier – et déclencha ensuite une guerre des priorités coûteuse. Autre exemple : le travail à partir de biopsies des patients. Or, l’échange transfrontalier de ce matériel d’étude amène en biologie des contaminations involontaires dont quelqu’un finira bien par découvrir, à l’aide de son protocole, le co-facteur troublant. Mais si chaque échantillon est accompagné d’un journaliste et d’un juriste – ce qui fut le cas lors de la guerre des droits sur le test sanguin – le travail des chercheurs devient impossible.
Après les années rapides, voici le ralentissement. Les trithérapies sont introduites en 1995, et le pipe-line actuel de nouveaux agents anti-VIH s’est réduit (une demi-douzaine sont dans des phases avancées d’essais cliniques). Passer d’une chimiothérapie à vie à une guérison, c’est un défi majeur.
Le défi a aussi une composante politique, le transfert de technologie dans les pays les plus touchés et l’établissement commun de conditions correctes pour la mise au point et les tests d’un vaccin. ge
Science, novembre 2002.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!