Peut-être faudrait-il décréter un moratoire sur les articles relatifs à B. Anthracis, bacille contre lequel Pasteur avait déjà établi un vaccin, bacille répondant aux antibiotiques communs, bacille voyageant lentement (par poste) Ð et qui réussit néanmoins à infecter l’ensemble des médias globaux. Au point où la référence mondiale en terme de maladies infectieuses (sise à Atlanta) doit retirer ses informations publiées sur Internet, pour ne pas rajouter à la panique. L’Union Européenne ayant abandonné l’idée de créer un centre similaire au profit de la mise en réseau des centres nationaux, les informations fiables se trouvent enfouies dans les archives des revues scientifiques, non accessibles aux moteurs de recherche communs.
Les maladies infectieuses sont affaire de santé publique. Cela signifie, former le personnel sanitaire à reconnaître les symptômes, le protéger (notamment par des vaccinations) pour éviter les images inquiétantes de médecins en masque à gaz devant des immeubles scellés expliquant que l’anthrax n’est pas contagieux Ð ce qui est techniquement vrai. La perspective « santé publique » permettrait aussi de rappeler ce paradoxe que l’on semble « accepter » au chapitre infections ; les morts sont bien plus nombreux par intoxication alimentaire ou par infection hospitalière.
D’autre part, les agents infectieux sont affaire de recherche scientifique. L’anthrax est un microbe fascinant. Il a mis au point un système de transport vers l’intérieur des cellules hôtes pour y injecter ses toxines ; cette « seringue cellulaire » pourrait être utilisée pour véhiculer des substances thérapeutiques Ð beaucoup de groupes y travaillent. Ce que les scientifiques devraient, par devoir civique, souligner, c’est qu’il n’est pas facile du tout de préparer l’Anthrax Ð ou d’autres agents biologiques Ð en vue d’une guerre biologique. L’idée qu’on pourrait le faire fermenter dans l’évier de la cuisine est un mythe ; et c’est faux aussi de croire que seule la dissémination de l’agent poserait des problèmes techniques. Une évaluation à sang froid de la secte Aoum, qui a investi des années et des dizaines de millions de dollars dans la guerre biologique montre qu’elle a échoué complètement, au point de devoir recourir in fine au chimique (gaz Sarin).
Les perspectives politiques, enfin. A vrai dire, les Etats-Unis vivent dans la fascination du bio-terrorisme : une conférence de haut niveau aurait été convoquée par Clinton après lecture d’un roman de science-fiction ! Alors que le nombre de décès au 20e siècle lié au bioterrorisme (aux USA) se monte exactement à un.
L’administration Bush a refusé jusqu’ici d’ajouter à la Convention sur les armes biologiques un protocole de contrôle efficace, fondé sur des visites impromptues. En vertu du nationalisme prôné par ceux-là même qui déverseront des millions dans la recherche militarisée, une visite des sites américains est une entorse à la souveraineté nationale. Les événements actuels parviendront-ils à faire reconnaître le besoin de donner à la communauté internationale des instruments de contrôle qui s’appliquent à toutes les nations ? ge
Source : Science, 27 avril 2001 ;
Site de la Federation of american scientists, www.fas.org.
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