Metropol, le quotidien gratuit distribué en Suisse alémanique annonce un bébé né par manipulation génétique.L’info est sommaire. Quelles techniques se cachent donc derrière les titres des manchettes ?
«Genmanipulierte babys geboren », annonce Metropol, un quotidien gratuit. La nouvelle étant plutôt concise Ð elle doit laisser bonne place à l’annonce du mariage islamique du fils d’Helmut Kohl Ð il nous faut imaginer ce que ces bébés manipulés génétiquement pourraient bien être.
Quelle théorie, quelle thérapie ?
Il y a au moins 273 gènes qui ne se trouvent que chez des bactéries, puis, sans intermédiaires, chez l’être humain : ces gènes ont été, en toute probabilité, insérés dans notre génome directement par ces bactéries : nous sommes donc tous, bébés y compris, des êtres transgéniques. La naissance de ces bébés manipulés génétiquement est donc banale. Pas de quoi en faire une news dans la presse gratuite. Ou alors, une équipe médicale géniale, après avoir détecté un défaut dans le fétus, a procédé à une thérapie génique qui corrigeait le défaut pour permettre la venue au monde d’un bébé manipulé mais en bonne santé. La thérapie génique corrige un défaut, pendant la durée du traitement ou pour la vie de l’individu à la manière d’un médicament ; la correction n’est pas transmise aux descendants éventuels. La thérapie génique in utero serait certes un exploit médical, mais là aussi, pas de quoi faire les titres du ? Ou enfin, au moment du tri des ovules lors de la fécondation in vitro, « on » a effectivement corrigé un défaut génétique, ou encore échangé un gène pour une variante plus favorable, qui sait, peut-être d’une autre espèce, créant ainsi un « vrai » bébé transgénique, prêt à léguer, dans un esprit eugéniste, ces gènes modifiés à des descendants éventuels. C’est faisable, mais c’est aussi interdit, partout et par tous. On devrait certes préciser en disant « faisable désormais » et « interdit pour le moment ». Des bébés produits de cette manière feraient certainement les manchettes de tous les journaux.
Techniques in vitro
En fait, les « bébés manipulés » auxquels le journal fait allusion, sont une conséquence des techniques in vitro de lutte contre la stérilité. Depuis quelque temps déjà, la fertilisation in vitro ne se borne plus à mettre simplement en meilleur voisinage ovules et spermatozoïdes de papa et maman. Au début, c’était l’utilisation de spermatozoïdes immatures (les spermatides) à partir de donneurs dont la stérilité venait justement de cette incapacité de maturation, technique légale mais immédiatement dénoncée. Puis, ce fut le tour de l’ovule : il est des cas extrêmement rares où la stérilité d’un couple provient d’un défaut de l’ovule, d’un défaut qui ne se localise pas dans les gènes (le noyau), mais dans le cytoplasme de la cellule. Les détails sont inconnus. Pour pallier cette stérilité, on a mis au point une technique à trois partenaires : un premier ovule d’une donneuse est vidé de son noyau et remplacé par le noyau d’un ovule de la mère, puis fertilisation par le spermatozoïde du père. Le cytoplasme contient machinerie (protéines) cellulaire, avec une nuance : les mitochondries, composantes du cytoplasme contiennent un bout d’ADN qui leur est propre ; c’est un souvenir lointain de l’époque où la mitochondrie était une bactérie indépendante, avant de parasiter pour toujours les cellules à noyau et de perdre son identité. Le bébé ainsi construit possède donc des gènes qui viennent de trois sources : du papa et de la maman, et des mitochondries de la donneuse d’ovule. C’est donc un bébé génétiquement manipulé, même si la manipulation ne vise pas l’amélioration génétique de l’individu. Les chercheurs se meuvent dans une zone grise et le danger ne vient pas de la manipulation effectuée, sans finalité d’eugénisme, mais de la lente dérive de leurs sensibilités, où aveuglés par la réussite thérapeutique, ils profanent l’esprit des moratoires et des interdictions prononcés par la cité dans le domaine de l’expérimentation sur l’être humain. ge
Source : Metropol, 7 mai ; Science, 20 avril 2001.
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