
La reprise de la conjoncture économique permet de dresser un bilan intermédiaire de la crise qui a touché notre pays, et plus généralement l’ensemble des économies occidentales, au cours des (presque) dix dernières années.
Premier constat: les dégâts ont finalement été limités. Certes, le ralentissement fut général. Les taux de croissance se sont établis durant plusieurs années entre rien et pas grand-chose de sorte que le chômage a augmenté et que la rentabilité de nombreuses entreprises a souffert. Il est toutefois assez difficile d’opérer une nette distinction entre ce qui dépend de la crise proprement dite et ce qui résulte de la transformation des marchés sous l’effet des changements technologiques et de la concurrence.
Il est évidemment plus confortable pour un dirigeant d’entreprise d’imputer à des facteurs extérieurs les difficultés qu’il a rencontrées (par exemple les modifications des parités monétaires) que d’admettre que ses concurrents ont mieux réussi que lui à s’adapter à l’évolution des produits et/ou à celle des marchés.
Griefs injustifiés
Deuxième constat: si durant plusieurs années on a montré du doigt la hausse excessive du franc pour expliquer le ralentissement des affaires, ces récriminations sont devenues discrètes depuis quelques mois déjà. Il n’y a là rien de surprenant. La hausse des prix a été inexistante. Notre pays connaît une situation tout à fait inhabituelle depuis plusieurs années. L’indice des prix à la consommation, sur la base 100 à fin 2010, se situe aujourd’hui à 98,1: la tendance haussière constante des dernières décennies a viré à la baisse. La monnaie qui, sous l’effet de l’inflation, perdait de la valeur, en a de fait gagné!
Cette évolution, couplée à la hausse du franc sur la même période aboutit au fait que la revalorisation réelle du franc (soit la hausse nominale de la monnaie corrigée du recul de l’indice des prix à la consommation) durant les six dernières années n’a été que de 6%, soit 1% en moyenne annuelle. Pas de quoi justifier les griefs réitérés des milieux économiques.
Troisième constat: en fin de compte, la politique suivie par la Banque nationale suisse (BNS) aura été judicieuse. La dégradation du contexte économique est partie, rappelons-le, de spéculations éhontées sur les marchés financiers des Etats-Unis (crise des subprimes). La Suisse, et plus généralement la grande majorité des Etats, ont dû faire face à des soubresauts qui auraient vraisemblablement dégénéré en une crise profonde et prolongée si les banques centrales n’avaient pas pris les choses en mains. C’est d’ailleurs en cela que réside le grand changement par rapport à la crise des années 30 au cours de laquelle ces institutions n’avaient pas levé le petit doigt (DP 2160).
Rester vigilant
Quatrième constat: en dépit de la relance des activités, la BNS n’est pas encore au bout de ses peines. D’abord, évidemment, elle doit rester vigilante pour contrer toute nouvelle hausse subite du franc, toujours possible dans un monde globalisé où les pays et les entreprises sont en compétition tant pour les produits que pour les technologies. Ensuite, elle doit gérer une masse monétaire qui a été multipliée par dix en moins d’une décennie — passant en gros de 70-80 milliards de francs à plus de 700 milliards.
Le gonflement de la masse monétaire est la conséquence obligée de l’action menée par la BNS. Elle a acheté des devises étrangères pour éviter des envolées encore plus considérables du cours du franc, lesquelles auraient eu des conséquences très sérieuses pour les branches tournées vers l’exportation.
Est-ce à dire que la BNS devrait maintenant créer un ou des fonds d’investissement, comme l’ont fait d’autres pays — la Norvège par exemple — en utilisant une partie de cette masse d’argent (DP 2158)? Les fonds d’investissement de ce pays sont alimentés par les bénéfices qu’il réalise grâce à ses activités pétrolières. Ils ont pour but de financer la création de revenus de substitution lorsque les gisements s’épuiseront. Or, dans notre pays, les émissions de monnaie ne sont en rien le produit d’une quelconque activité économique bénéficiaire.
Cinquième et dernier constat: il serait idéal que le franc se stabilise à un cours correspondant dans les grandes lignes à l’évolution de celui des autres monnaies. La BNS pourrait ainsi envisager de se défaire de cette masse considérable de devises étrangères, ce qui lui permettrait de résorber la monnaie qu’elle a imprimée. L’instabilité actuelle — et future — du monde le permettra-t-elle?
Il convient de rappeler que l’économie connaît à la fois des mouvements sur de longues périodes et d’autres à plus court terme. La politique monétaire appartient aux premiers, les activités commerciales sont plutôt régies par les seconds. De ces décalages naissent presque inévitablement des incompréhensions entre les objectifs des uns et des autres, que les dirigeants des entreprises expriment souvent sans trop prendre de gants.
L’indépendance de la BNS lui permet de résister aux pressions dont elle peut être l’objet. C’est tant mieux. L’amélioration de la conjoncture peut nous en convaincre. Ce qui ne signifie pas (encore) que tout soit maintenant dans le meilleur des mondes possibles. Mais il n’est pas du tout exclu que nous soyons sur le chemin d’une amélioration.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!