Le Musée de l’Elysée présente une exposition d’environ 300 tirages, dont beaucoup en grand format, entièrement dédiée aux photographies de montagne. C’est une première du genre. Il faut dire que, dans ses collections, la fondation en possède plus de 4000. Cette présentation revêt à nos yeux un triple intérêt: à la fois historique, symbolique et esthétique.
Historique parce que les plus anciens clichés exposés, aux teintes sépia, datent du milieu du 19e siècle. Les alpinistes-photographes utilisaient le collodion humide qui nécessitait d’emporter un laboratoire ambulant pour développer les photos sur place. On imagine les difficultés techniques qu’ils rencontraient alors. Auguste-Rosalie Bisson, par exemple, fit l’ascension du mont Blanc en 1862 avec pas moins de 250 kilos de matériel! On frémit par ailleurs en voyant l’équipement des montagnards de ce temps: cordes de chanvre, alpenstock, et les dames en longue robe et chapeau…
La montagne a aussi une dimension symbolique. Déjà dans les tableaux et la littérature du 18e siècle, elle incarnait une certaine idée du «sublime». Elle représentait un espace inexploré, vierge de toute présence humaine, ce qu’accentuait la pure blancheur des glaciers et des neiges éternelles. Mais elle incarnait aussi un univers masculin. Sur un mur de l’Elysée recouvert de commentaires écrits par des enfants, on peut lire «La montagne est une bite». Le jeune garçon – ou la fillette, qui sait? – qui a rédigé cette phrase un peu provocatrice a mis inconsciemment le doigt sur un attribut des sommets alpins. Souvent de forme phallique, ceux-ci renvoient à un univers longtemps considéré comme exclusivement viril. N’oublions pas que le Club alpin suisse fondé en 1863 n’a été ouvert aux femmes qu’en 1980, neuf ans après que le droit de vote fédéral leur fut octroyé!
Les amoureux de la montagne reconnaîtront nombre de sommets qu’ils connaissent, ou qu’ils ont peut-être même gravis: l’Eiger, l’Obergabelhorn, l’Aiguille d’Argentière et bien d’autres. Mais l’image iconique de la montagne reste le Cervin, avec sa forme imposante si spectaculaire. On ne s’étonnera donc pas que de nombreux tirages lui soient consacrés.
L’aspect esthétique n’est pas négligé. On remarquera notamment la superbe photo réalisée par Maurice Schobinger, «Face à face» (2015), retenue pour l’affiche de l’exposition, où le spectateur est en effet confronté à une face quasi verticale de la Lenzspitze. Nous avons beaucoup aimé aussi le travail de Jacques Pugin qui, dans l’une des rares photos en couleurs, confronte les bleus et les blancs autour du glacier d’Aletsch. Dans un autre tirage, le même artiste utilise une technique qui rejoint le pointillisme de Seurat et Signac. Mais bien d’autres créateurs – dont certains célèbres et d’autres oubliés ou anonymes – sont à découvrir.
L’exposition s’achève sur une curiosité: une salle projette des clichés en stéréoscopie, à voir avec des lunettes spéciales, ce qui donne l’illusion saisissante de la troisième dimension.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!