
Annik Mahaim revisite les années 70 et ses engagements militants: légère nostalgie et interrogations pertinentes. Mais la colère est toujours là.
Le projet de ce livre est fermement dessiné dans l’un des chapitres de réflexion qui, au nombre de cinq, ponctuent le récit, intitulés «L’écrire [1, 2, 3, 4, 5]» et qui reflètent les opinions et les sentiments du «je» actuel de l’auteure. C’est ainsi qu’A. Mahaim résout avec élégance le problème récurrent du «double registre», qui se pose dès que l’on s’avise, avec quelque recul, de relater du vécu: qui parle ici? le «je» d’alors, «héros» de l’histoire, ou le «je» de maintenant, auteur du récit, bénéficiant du point de vue surplombant offert par le temps?
Je reviens au projet tel qu’il est dessiné par l’auteure: «Restituer la saveur de ces années-là. Juste raconter ce qui m’a, nous a mis en mouvement, si fort, si intensément au cours de cette brève décennie, au point, en ce qui me concerne, d’avoir passé le plus clair de mon temps, entre dix-neuf et vingt-cinq ans, à militer dans l’extrême-gauche trotskyste [Ligue marxiste révolutionnaire, LMR] et le mouvement de libération des femmes [MLF]. […] Juste retrouver comment je voulais Changer le monde, changer la vie.» («L’écrire, 1», p. 29). On reconnaît là une des fonctions de l’écriture: faire revivre le passé avec toutes ses couleurs, ses sons, ses odeurs, échapper, l’espace d’une page ou deux, au présent.
Issue du milieu de la bourgeoisie lausannoise, fille et petite-fille de médecin, Annik Mahaim découvre la solidarité du groupe en intégrant la LMR et, par là même, les privilèges échus à sa classe sociale et les injustices qu’ils entraînent. Mais c’est en s’approchant du mouvement féministe de ces années-là qu’elle trouve vraiment sa place et peut tenter de répondre à la question fondamentale: «Comment est-ce que je me sens dans ce monde qui m’est offert, comme un cadeau? Et pourquoi ce cadeau s’est-il révélé parfois empoisonné?»
Dédié de manière émouvante au souvenir d’une amie décédée, proche de toutes ses luttes, ce récit répond en partie à la question, grâce à l’engagement politique de son auteure au cours de cette décennie des seventies qu’elle entreprend d’explorer, d’un regard rétrospectif, chaleureux et lucide. Elle reconnaît les erreurs commises, et les échecs flagrants. Mais elle exalte surtout l’action collective: «Je me sentais juste dans mon époque, juste dans sa mémoire. Je vibrais avec. J’étais avec. […] Un ressenti difficile à expliquer à qui n’a pas vécu cette exaltation, cette effervescence collective qui soulève, la conviction d’être au cœur battant du monde, oui, la confiance qu’ensemble on peut réussir, la croyance qu’on peut se transformer et transformer la société humaine. L’impression d’être là, au bon moment de l’Histoire. C’est une émotion d’un genre particulier: une émotion politique.» («L’écrire, 5», p.175). On serait tenté de dire: un bonheur politique.
La colère enfin, ou si l’on veut reprendre un terme rendu célèbre, l’indignation, racine de tout engagement militant, Annik Mahaim n’a jamais cessé de les ressentir. L’autre soir, lors d’une rencontre avec ses lecteurs, entendant la comédienne Claudine Berthet lire son chapitre consacré à l’assassinat de Salvador Allende, elle avouait en être encore frémissante de colère. Si le temps du militantisme est révolu pour elle, elle ne cessera jamais de s’indigner devant les vilenies de l’Histoire, passées, présentes et hélas à venir.
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