
Ce 2 juin, le Genevois Philippe Rahmy a été honoré à Lausanne par la remise du Prix Rambert, la plus ancienne distinction littéraire de Suisse romande. Son roman Allegra est une vraie réussite. Résumons-en brièvement l’argument.
D’origine algérienne, le «héros» du livre Abel Iflissen a été élevé dans le Sud de la France. Après de brillantes études, et au vu des maigres perspectives qui s’ouvrent pour un Arabe (qui par ailleurs ne sait pas un mot d’arabe…), il tente sa chance à Londres, où il devient un trader à qui tout réussit.
Il épouse Lizzie. De cette union naît une fille, Allegra, qui donne son titre au roman, car elle en est, présente-absente, le centre. Dès l’accouchement, mais aussi pour des raisons qui se révéleront plus tard dans le livre, Lizzie bascule dans une sorte de déséquilibre mental. Elle chasse Abel de leur appartement.
Alors que Londres se prépare à fêter l’ouverture des Jeux olympiques d’été 2012, commence pour lui une lente descente aux enfers, accentuée par la perte de son emploi. Il vit dans un hôtel miteux, plonge dans la boisson. Jusqu’à ce qu’il tombe dans les filets de l’organisateur d’un attentat – islamiste bien sûr. Mais n’en disons pas plus. Au lecteur de découvrir la chute tout à fait inattendue du roman.
En moins de 200 pages, l’auteur parvient à agencer une multiplicité de thèmes, sans que leur lien ne paraisse jamais artificiel. C’est d’abord l’histoire de la déliquescence d’un couple, dont la vraie raison n’apparaît que très tardivement. Celle d’un homme qui vit un amour passionné pour son épouse et sa fille, mais dans le déni d’une terrible réalité. Il est en train de basculer dans le quart-monde. Ce qui l’amène à côtoyer des migrants venus du monde entier, remplis d’espoir en les possibilités qu’offre la bouillonnante capitale britannique, ou déjà désillusionnés.
Londres occupe une grande place dans ce récit: ses différents quartiers, son cosmopolitisme, ses ghettos islamiques. Mais aussi l’évocation de l’enfance d’Abel dans les faubourgs d’Avignon, où son père tient sa boucherie à côté des abattoirs, jusqu’à ce qu’une nouvelle construction chasse ces petits commerçants travailleurs.
Notons que la violence – mais toujours suggérée, jamais exploitée de manière voyeuriste – est constante dans le roman: celle faite aux animaux à l’abattoir, au père d’Abel privé de son échoppe, aux jeunes «beurs» victimes du racisme, mais aussi la violence verbale ou physique dans le couple, les affrontements entre manifestants et policiers. Violence encore, liée au passé, à la phase terminale de la guerre d’Algérie.
Les phrases sont courtes, incisives. L’auteur manie avec brio un style résolument moderne, avec cependant, ici et là, des rêves ou des collisions d’images qui peuvent faire penser à une influence du surréalisme.
En bref, voilà un roman inscrit dans les réalités de notre temps, et qui dès les premières pages invite le lecteur à en poursuivre la lecture. Celle-ci se révèle passionnante.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!