«La suppression des entraves qui existaient à l’intérieur et le transfert des douanes à la frontière ont fait de la Suisse, du point de vue du travail, une unité territoriale dans laquelle l’ouvrier lui-même doit pouvoir agir personnellement avec la plus grande liberté quant aux travaux qu’il entreprend. En agissant autrement, on crée des inégalités choquantes [ ?].
On rencontre aussi dans les cantons bon nombre d’autres inégalités par lesquelles on favorise les nationaux au détriment des Suisses établis. On empêche des ouvriers d’autres cantons d’exercer leur industrie ; on laisse subsister des maîtrises ; on enlève à toute personne non établie la faculté d’acquérir des immeubles ; on interdit l’entrée de certains articles de commerce ; la viande et le pain même ne peuvent pas être introduits du dehors dans quelques villes ; on empêche des guides étrangers au canton d’exercer leur profession ; on suscite des difficultés aux cochers étrangers, etc.
On ne peut mettre fin à ces inégalités et à ces anomalies qu’en partant du principe que la liberté du commerce et le droit d’exercer librement une industrie doivent être garantis sur tout le territoire de la Confédération».
A petits pas vers le marché intérieur
L’allusion à un moyen de transport révolu laisse percevoir qu’il s’agit d’un extrait du message du Conseil fédéral du 17 juin 1870 sur la révision totale de la Constitution. Mais les «cochers étrangers» du xixe siècle sont les cousins des «plombiers polonais» du xxie qui font figure d’épouvantails dans la campagne référendaire française sur le traité constitutionnel européen.
On connaît l’histoire suisse. En 1874, la liberté du commerce et de l’industrie est garantie «sur tout le territoire de la Confédération». Jusqu’en 1911, le Conseil fédéral lui-même va trancher les litiges relatifs aux restrictions du libre-échange, signe de l’importance politique de cette question. Le marché intérieur ne s’est pas fait en un jour. Berne a du mal à lutter aujourd’hui encore contre certaines entraves cantonales à la concurrence. L’unification de l’économie suisse et l’homogénéisation du corps social, conséquences de la suppression des frontières cantonales, ont toutefois créé avec le temps les conditions nécessaires au renforcement de l’Etat fédéral et à la création des assurances sociales.
Nous saurons dimanche si les Français, dans un dernier sursaut, font confiance à une Europe qui supprime les inégalités entre les peuples plutôt qu’à des frontières pseudo-protectrices. ad
Thomas Cottier/Benoît Merkt, «La fonction
fédérative de la liberté du commerce et de
l’industrie et la loi sur le marché intérieur suisse : l’influence du droit européen et du droit
international économique», in Mélanges en l’honneur de J.-F. Aubert, Bâle, 1996.
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