
«D’où a bien pu sourdre cette haine dévastatrice contre le Jeune Homme? te demandais-tu encore vingt ans après […]».
Comment dire l’indicible? Eternelle question que se pose, que nous pose la littérature, et, de manière plus générale, tout témoignage. Quand, de plus, cet indicible nous touche du plus près, dans nos convictions, nos émotions, nos amours, la question se fait encore plus lancinante.
Pour évoquer (raconter? le livre porte en sous-titre «un vrai roman», choc des mots) l’agression qu’a subie son ami, il y a 25 ans, l’auteur tâtonne à la recherche du ton, de l’expression justes. Se reprenant à plusieurs fois pour tenter de donner corps à un événement dont le souvenir lui est insupportable, Jérôme Meizoz cherche à cerner sa propre position d’écrivain face aux faits. Qui suis-je, où suis-je, moi qui prends la parole ici et maintenant?
Légitimé par ses liens d’amitié avec la victime, dont les propos vigoureux, défendus avec brio face à un bloc de bétonneurs valaisans, en faveur d’un meilleur respect de l’environnement, lui ont valu d’être, une nuit de février, roué de coups et envoyé à l’hôpital pour de longs mois, sans parler des blessures de l’âme; légitimé par ses attaches valaisannes; légitimé enfin par son statut d’écrivain.
Mais cela suffit-il? Tout au long du livre, en contrepoint, l’auteur s’interroge. Par allées et venues dans le temps, on suit le travail de la mémoire, capricieuse, qui tourne inlassablement autour de ce noyau brûlant, le récit de l’agression nocturne, recommencé, modifié et refaçonné au fil du texte, reprises marquées par la lancinante formule: «Reprenons». Et à chaque fois, la brûlure, toujours recommencée, jamais apaisée.
Les auteurs de l’agression n’ont jamais été identifiés, ni, a fortiori, inquiétés. Le silence (et l’ordre) règnent dans le Haut Val.
Ce petit livre est marqué par la droiture de l’écrivain, sa fidélité à l’amitié et son combat contre le silence qui couvre les méfaits de la volonté de pouvoir: nuire à tout prix à quiconque se dresse sur son chemin. Dans le désir de dénoncer une iniquité au plus près de la conscience, sans se laisser emporter par les dérives de la passion, l’honnêteté de la démarche laisse un peu le lecteur sur sa faim. Mais, dans sa retenue même, ce livre nous touche, car il témoigne à la fois de notre devoir de colère et d’un inextinguible besoin de justice.
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