Un groupe de personnalités politiques, économiques et universitaires, hors partis, a lancé à la mi-octobre un «Appel de citoyennes et citoyens préoccupés» appelant leurs compatriotes à participer à un large débat sur l’Europe. Ce texte, qui n’a pas eu de fort écho médiatique, est remarquable à plusieurs égards.
Cela fait longtemps que la réflexion sur la politique européenne a été désertée et cette prise de parole collective est originale. L’engagement de personnalités d’horizons différents, que l’on pourrait qualifier de représentants de la société civile, n’est pas non plus banal. Enfin, le propos comme la forme, ou plutôt le ton, de ce texte contrastent singulièrement avec le concert d’invectives et d’élucubrations qui domine depuis le 9 février et qui ne fait que croître et embellir avec l’approche de la votation populaire sur l’initiative Ecopop.
Il s’agit d’une invitation à ouvrir un débat serein sur l’ensemble de nos relations avec l’Europe, sans préjuger de la forme qu’elles devraient prendre, si l’on veut bien admettre que le sujet sera d’une brûlante actualité dans les mois et les années à venir, en dépit des efforts unanimes des milieux politiques pour n’en parler jamais.
Même s’il prétend se borner à identifier les points qui devraient faire l’objet d’un débat démocratique, cet appel est néanmoins engagé. Ambitionner d’offrir à la jeune génération un cadre de réflexion et d’engagement qui repose sur le constat de l’interdépendance que partagent, quoi que l’on en veuille, la Suisse et l’UE est, dans le contexte actuel, quasiment subversif. Ses auteurs ne peuvent être qualifiés que d’euro-turbos, notamment par la Weltwoche, qui les moque avec ironie, d’une façon qui invite à se pencher sur l’expression elle-même.
A l’origine, l’appellation d’euro-turbo désignait ceux qui voulaient adhérer tout de suite à l’Union européenne. Dans son acception actuelle, elle aurait pu être appliquée, en 1992, lors du scrutin sur l’EEE, à tous ceux qui, nombreux, prônaient le oui pour éviter l’adhésion, et même à une partie de ceux qui recommandaient le non, pour des raisons diverses, dans un contexte où l’opinion fleurissait encore de nuances.
Il n’existe plus, dans le glossaire politique suisse actuel, d’expression qui identifierait une sorte de réserve critique et pragmatique n’excluant ni la réflexion ni les propositions en matière de politique européenne. Est un euro-turbo, aujourd’hui, tout individu qui ne parle pas de l’Union européenne sur le ton au mieux de la dérision et du ricanement, plus généralement de la détestation, comme d’un empire acharné à l’asservissement des peuples. Le terme est appliqué avec un tel automatisme et un tel entrain que c’est tout juste si le naïf aveu d’une appétence pour les choux de Bruxelles ne fait pas de son auteur un euro-turbo.
Sans en être nécessairement conscient, le propriétaire et rédacteur en chef de la Weltwoche, Roger Köppel – dont il faut saluer au passage l’initiative d’offrir une traduction française de son éditorial sur le site Internet de son hebdomadaire – vient de préciser encore la définition de l’expression. Il ne sera pas facile pour les signataires de l’appel, qu’il qualifie quelques phrases plus loin d’euro-turbos, écrit-il dans son éditorial du 22 octobre, de toucher avec leurs formules vagues les cœurs des «Suisses normaux, critiques de l’UE».
La conclusion paraît s’imposer d’elle-même: les euro-turbos, dans toute leur diversité et quelle que soit leur approche du futur des relations entre leur pays et l’UE, ne seraient pas des Suisses normaux. C’est bien ce que l’on croyait avoir compris depuis quelque temps, mais c’est encore plus clair lorsque c’est écrit noir sur blanc.
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