Emmenée par les libéraux, la majorité bourgeoise du Grand Conseil genevois vient de supprimer au pas de charge l’impôt sur les successions en ligne directe. La perte fiscale est difficile à estimer, une incertitude d’autant plus grave que l’avenir des finances cantonales reste préoccupant. On connaît les justifications de cette désescalade fiscale. La plupart des cantons a franchi le pas et Genève doit suivre s’il veut rester attractif pour les contribuables aisés. Par ailleurs, cet argent disponible va stimuler la consommation des particuliers, dynamiser l’économie et donc améliorer les finances publiques.
La sous-enchère fiscale à laquelle se livrent les cantons devrait conduire à transférer à la Confédération la compétence de taxer les successions. On aurait pu attendre des libéraux qu’ils soutiennent ce transfert. En effet, cet impôt traduit parfaitement la philosophie libérale : seuls la compétence et l’esprit d’entreprise justifient les inégalités entre les individus. Disposer d’une fortune par la seule grâce d’un héritage, sans mérite aucun, est contraire à cette philosophie. Ainsi, aux Etats-Unis, des millionnaires et milliardaires se sont élevés contre le projet du président Georges W. Bush de supprimer l’impôt sur les successions.
On peut pousser le raisonnement plus loin. Il faut non seulement maintenir cet impôt mais encore en élever le taux, et même instituer un prélèvement complet des héritages. Car cet impôt répond aux trois critères que vénèrent tous les fiscalistes : l’équité, l’efficacité et la simplicité. On objectera que la confiscation des biens au décès pourrait inciter les individus à dépenser leur avoir avant la fin ultime. Un économiste suisse a trouvé la parade : laissons aux héritiers la seule part de fortune acquise par le légataire, à l’exclusion de ce que ce dernier a lui-même hérité. On incite ainsi à l’épargne tout en empêchant la constitution de fortunes au travers de plusieurs générations. De même, il faudrait prévoir une franchise qui permette la survie d’une entreprise familiale. Mais il semble que les libéraux soient moins préoccupés par la cohérence de leur pensée que par la défense acharnée de leur clientèle. Les intérêts substantiels ont pris le pas sur l’esprit du libéralisme.
Alain Zucker, «Die Erb-Sünde»,
Das Magazin n°26, 2003.
Pour ne manquer aucun article
Recevez la newsletter gratuite de Domaine Public.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!