Le travail clandestin est une véritable boîte noire
dont ne surgissent que des informations fragmentaires et des
estimations fragiles. Combien sont-ils à trimer à l’ombre de
l’illégalité et dans des conditions le plus souvent intolérables ?
Personne ne peut fournir de réponses fiables. Cette opacité caractérise
jusqu’à la politique de répression des travailleurs clandestins et de
leurs employeurs. C’est pourquoi le Grand Conseil genevois a demandé
une étude détaillée sur le sujet. La Commission externe d’évaluation
des politiques publiques du canton (CEPP) vient de livrer son rapport
(www.geneve.ch/cepp).
Le clandestin est une femme
Il convient
tout d’abord de préciser les mots, tant est grande la confusion
terminologique. Le travailleur clandestin est un ressortissant étranger
exerçant une activité rémunérée sans permis de séjour. Au sens du droit
suisse, sa faute est double : il séjourne illégalement sur le
territoire helvétique et ne dispose pas d’un permis de travail. Cette
activité peut être partiellement déclarée lorsque les cotisations
sociales et les impôts sont payés (travail au gris) ou pas du tout
(travail au noir).
Le travail clandestin se conjugue au féminin. En
effet, le portrait-robot qui se dégage des dossiers des personnes
clandestines découvertes et sanctionnées à Genève entre 1999 et 2001,
fait apparaître une femme jeune (63%), originaire d’Amérique latine
(57%), occupée dans l’économie domestique (44%) et qui a choisi Genève
parce qu’un parent ou un ami y résidait déjà.
Répression défaillante
A
l’évidence, la répression du travail clandestin ne constitue pas une
priorité politique à Genève. Les administrations du front (police,
inspecteurs de la main-d’œuvre étrangère, Office de la population
notamment) n’obéissent pas à des directives précises. Une personne
clandestine découverte peut, tout aussi bien, être renvoyée
immédiatement par avion, que remise en liberté, munie d’une carte de
sortie lui enjoignant de quitter la Suisse dans un délai déterminé. Le
même flou caractérise la distribution des amendes qui restent
d’ailleurs largement impayées.
Cette mise en œuvre aléatoire de la
répression renforce évidemment le sentiment d’insécurité des
clandestins. Elle aboutit concrètement à des discriminations. Ainsi, la
personne foncée de peau qui se déplace souvent pour son travail ou la
femme de ménage qui court un risque plus grand d’être démasquée qu’un
Européen actif dans une grande entreprise.
Du côté des employeurs,
la probabilité d’être pris reste faible dans la mesure où les contrôles
résultent essentiellement de dénonciations et où les salariés ne
dénoncent pas leur patron. Par ailleurs, le faible montant des amendes
infligées et le fait que les cotisations sociales et les impôts non
versés ne sont pas systématiquement réclamés rend l’emploi clandestin
très attractif pour l’employeur.
Le fédéralisme en cause
Dans
le dossier du travail clandestin, les cantons restent largement
tributaires de la politique fédérale, très restrictive en matière
d’immigration et de marché du travail. A la sévérité formelle de Berne,
répondent alors des stratégies d’accommodement qui prennent en compte
les besoins locaux. Mais cet accommodement génère des inégalités de
traitement et tolère des conditions de travail indignes. L’hypocrisie
est à son comble quand sont reconnus aux clandestins les droits
fondamentaux à la santé et à l’éducation, des clandestins qui par
ailleurs vivent l’insécurité et l’exploitation au quotidien.
Dans ce
contexte, les recommandations de la CEPP ne peuvent opérer qu’à la
marge du problème : des procédures plus transparentes garantissant une
égalité de traitement, une répression plus systématique et plus
dissuasive des employeurs et des mesures visant à diminuer
l’attractivité du travail clandestin dans le secteur de l’économie
domestique, telle qu’une offre accrue de places dans les crèches et les
activités parascolaires, des tarifs abordables, des horaires scolaires
mieux adaptés ou la mise en place de chèques emploi-service.
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