
Robert Hainard (1906-1999) est surtout connu et apprécié du grand public comme peintre, graveur et sculpteur animalier. Mais ce genre artistique, par ailleurs souvent considéré injustement comme mineur, ne limite pas le personnage. Celui-ci fut aussi un véritable humaniste, un encyclopédiste, un naturaliste, un philosophe, dont la figure est inséparable de celle de son épouse Germaine (1902-1990), le grand amour de sa vie, elle-même peintre estimable.
Un beau film documentaire lui – ou leur – a été consacré par la journaliste Viviane Mermod-Gasser. Il faut relever d’abord les qualités de cet opus: la valeur des témoignages (parmi eux, ceux du fils et de la fille du couple, celui de Julien Perrot, fondateur à onze ans du journal La Salamandre, celui de Philippe Roch, ou encore ceux d’autres peintres de la nature); la beauté des images; le bel usage qui est fait de la musique, interprétée au piano par Marc Pantillon; le rythme conféré par la réalisatrice à ce documentaire dont l’intérêt ne faiblit pas.
D’origine neuchâteloise, Robert Hainard fut d’abord un artiste, certes. Il en avait acquis la formation à l’Ecole des arts industriels. Ses représentations d’animaux en saisissent le mouvement, «l’âme». Elles peuvent rappeler parfois l’art rupestre du paléolithique: Hainard se sentait proche de cet esprit de communion avec la nature, qu’il voulait sauvage. Elles ont également trouvé dans l’art japonais une source d’inspiration, qui s’exprime dans ses quelque 900 estampes. Comme graveur sur bois, il a inventé des procédés originaux. Mais sur le plan strictement artistique, il faut dire qu’il a été de plus en plus isolé et marginalisé, du fait de la prééminence croissante de l’art abstrait. Son œuvre, cependant, ne relève pas prioritairement de l’art pour l’art. Elle se veut une transcription de la nature, un hommage quasi panthéiste à celle-ci.
Robert Hainard ne fut pas un rêveur romantique, comme certains aquarellistes anglais du 18e siècle s’extasiant devant un paysage. Véritable naturaliste, il connaissait parfaitement le monde végétal et animal. Scientifique, il traduisait esthétiquement la nature avec poésie. Il n’est pas exagéré de dire qu’il fut l’un des grands prédécesseurs de l’écologie, même s’il ne l’appelait pas de ce nom. Philippe Roch, dans son vibrant témoignage, considère ce «fondamentaliste» (au sens positif du terme) comme son maître.
Ainsi Hainard fut-il très marqué par la canalisation du Rhône dans le canton de Genève, où il s’était établi: celle-ci avait pratiquement tué la nature sauvage… même si, paradoxalement, l’étang créé sur les reliquats du fleuve est devenu un centre ornithologique d’importance européenne. Comme quoi la nature, laissée à elle-même et non «protégée», reprend toujours le dessus.
Cet amour de la nature, cette osmose avec elle a conduit Robert Hainard à une véritable réflexion philosophique. Un aspect de son legs – car on oublie souvent qu’il a écrit plus de 20 ouvrages – qui est resté trop méconnu. Hainard n’était pas un réactionnaire, un apôtre du retour à la vie primitive, à la houe et au rouet! Il savait apprécier les découvertes techniques. Ce qu’il refusait, c’est l’expansion quantitative sans bornes. Cette œuvre écrite, mais aussi, indirectement, son travail artistique sont donc une réflexion sur notre civilisation et son rapport à la nature. Il voulait réconcilier le côté rationnel et le côté sauvage de l’homme.
Bien plus qu’un aimable peintre de blaireaux, de renards et de lynx, ce à quoi certains aimeraient le confiner, Robert Hainard fut donc un artiste animalier extraordinairement précis, traduisant en images sa connaissance intime de la faune. Il reste aussi un maître à penser dont le souvenir suscite le respect et une profonde sympathie. Le film utile de Viviane Mermod-Gasser est là pour le rappeler.
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