Le principe de milice imprègne fortement la culture politique helvétique. Ce principe a permis d’associer à peu de frais un grand nombre de citoyens, puis de citoyennes, à la gestion de la chose publique. Qu’on pense aux multiples commissions qui épaulent les autorités par des préavis ou qui se substituent parfois au travail de l’administration. La fonction parlementaire relève également de cet esprit ; le député n’exerce son activité qu’à titre subsidiaire, à côté de sa profession. La réalité est souvent toute différente. Cumulées sur les épaules des mêmes personnes, les activités de milice en viennent à constituer un véritable métier.
Pourtant, dans la conscience collective, l’activité de milice continue à être perçue comme un service relevant du devoir civique. A ce titre, elle ne mérite qu’une rétribution modeste, bien éloignée du niveau qui paraît normal pour une activité professionnelle exigeant un engagement et des compétences comparables. Toute tentative de revaloriser financièrement le travail parlementaire se heurte à la mauvaise humeur populaire. Et si la décision est susceptible d’un référendum, elle a fort peu de chances de passer le cap de la votation. Les députés vaudois, qui viennent de s’octroyer un forfait annuel, vont probablement en faire l’amère expérience. Et leur décision plus récente encore, et à vrai dire peu adroite dans ce contexte, d’augmenter leurs indemnités de séance de 250 à 350 francs, a déclenché l’ire des gardiens de l’esprit de milice.
Cet attachement à l’amateurisme en politique, poussé jusqu’au fétichisme, relève d’une conception dépassée de la démocratie, propre à mettre en péril cette dernière. Il est révolu le temps où, comme à Athènes, des citoyens oisifs pouvaient se consacrer à leur noble tâche civique, laissant aux esclaves et aux femmes le soin de l’intendance. Ou, comme dans les communautés de la Suisse primitive, les paysans rassemblés une fois l’an réglaient les affaires publiques. Revendiquer 350 francs pour une séance qui demande une journée de préparation, ce n’est pas exiger le Pérou. Aucun artisan n’accepte de travailler à ce tarif.
Pareille exigence de modestie financière, alors que le volume et la complexité des tâches qui incombent aux députés ne cessent de croître, confine au mépris pour la fonction. Et l’argument consistant à louer le système de milice, pour la proximité qu’il établit entre les élus et la population, se délite. En effet, cette pingrerie érigée en vertu aboutit à sélectionner les candidates et les candidats sur le critère de leurs moyens financiers ou de leur disponibilité en temps libre. A ce jeu ne gagnent que les populistes qui ne cessent de déconsidérer les élus, par définition traîtres et intéressés, et ne jurent que par la volonté populaire immédiatement exprimée. Le champ est alors libre pour les grandes gueules et les bourses pleines JD
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