Le travail de la commission Bergier a été considérable. Mais l’accès aux sources et la nécessaire critique de l’exercice seront impossibles. Dommage, l’Histoire n’est jamais définitive.
La commission indépendante d’experts Ð commission Bergier Ð vient de rendre public les derniers résultats de ses recherches. Vingt-cinq volumes et une synthèse prévue pour le printemps prochain, le travail est considérable. La Suisse a ainsi entrepris un travail de mémoire sans précédent. Même si, au fil des publications, l’émotion et la controverse ont perdu en intensité, cet effort de clarification ne constitue qu’une étape. Car l’Histoire n’est jamais écrite de manière définitive. Et les conditions dans lesquelles s’est déroulée cette opération laissent un goût d’inachevé.
Nous disposons maintenant d’un matériau d’une extrême richesse qui permet d’appréhender avec moins de préjugés l’attitude de la Suisse durant la deuxième guerre mondiale. Le mythe de l’intransigeance helvétique Ð notre pays a su préserver son indépendance grâce à une stricte neutralité Ð a vécu. Les accommodements, justifiés ou non, les lâchetés et l’égoïsme infirment l’image d’Epinal d’une Suisse juste au milieu d’un océan d’horreurs et de perversions.
Reste que l’entreprise, tout honorable qu’elle soit, souffre d’un défaut de conception qui relativise ses résultats et interdit d’en prononcer la clôture. La commission Bergier a reçu son mandat des autorités politiques Ð un arrêté fédéral urgent de 1996. Pour le réaliser, elle a bénéficié de pouvoirs d’investigation exceptionnels : l’ouverture des archives officielles est encore au bénéfice du délai de protection et de la compétence d’exiger l’accès aux documents privés. Or ces documents restent inaccessibles à d’autres historiens, alors même que la publicité et la disponibilité des sources sont des conditions essentielles de la recherche scientifique. C’est dire que les pairs ne pourront exercer pleinement la nécessaire critique des travaux de la commission Bergier. Et même s’ils s’y risquaient, ils ne recevraient pas la réplique des historiens de la commission Bergier, soumis au secret de fonction.
Si le privilège d’accès accordé à quelques-uns permet de dégager le passé de sa gangue d’ombre, il peut aussi contribuer à faire émerger une nouvelle interprétation convenue, officielle. Le mythe succède au mythe. Alors que l’Histoire se nourrit du débat, de la contestation, de la découverte de nouvelles sources. L’exemple d’Edgar Bonjour, historien officiel de la neutralité, montre bien le danger ; pendant trop longtemps son interprétation, fondée sur des documents qu’il fut seul à pouvoir consulter, a tenu lieu de catéchisme historique.
Pour que dans vingt-cinq ou trente ans ne se répètent pas la situation des fonds en déshérence et un nouvel exercice historique d’urgence, il importe de libéraliser l’accès aux sources pour les chercheurs et d’attribuer à ces derniers les ressources nécessaires. L’Histoire ne s’écrit pas par à coups mais par un effort minutieux et constant. jd
Un résumé de chacun des vingt-cinq rapports est disponible sur le site de la commission Bergier : www.uek.ch
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