Le droit de chaque individu à conduire sa vie et la considération qu’il a d’autrui pourraient disparaître.
Le génie génétique appliqué à l’être humain relance un vieux débat, celui de la nature humaine. Avons-nous à faire à une réalité intangible, créée par une divinité ou produit de la nature ? Y a-t-il des limites à l’intervention sur le capital génétique des hommes ? Ou au contraire l’être humain, cet animal non déterminé, pour reprendre une expression de Nietzsche, est-il un être plastique, capable de se construire lui-même jusques et y compris dans sa dimension biologique ?
Longtemps les religions ont proposé et même imposé des limites en proclamant l’intangibilité de l’être humain. Aujourd’hui, l’impact des Eglises sur les valeurs collectives faiblissant, y a-t-il encore une possibilité de penser des limites en dehors d’une perspective théologique ?
C’est à cette question qu’a tenté de répondre le philosophe allemand Jürgen Habermas dans une récente conférence tenue à Marburg (NZZ, 30 juin 2001, p.61). Pour ce faire, il a confronté les possibilités offertes par le génie génétique aux exigences d’une société ouverte et démocratique privilégiant les choix individuels. Que se passerait-il si le «design » génétique était opérationnel, si par exemple les parents pouvaient programmer à volonté leurs enfants ?
Pour Habermas, deux principes essentiels du libéralisme politique seraient alors mis en cause : le droit de chaque individu à conduire sa propre vie et à nouer des relations avec autrui sur un pied d’égalité. En effet, l’asymétrie « ab initio » entre le « designer » et son
« produit », induite par la programmation génétique, n’est en rien comparable à celle qui caractérise toute relation parents-enfant, tout processus de socialisation. Il est imaginable que la personne fabriquée ne puisse jamais se libérer de sa fixation à son fabricant. Le « paternalisme génétique » serait insurmontable. Quant à la considération d’autrui, qui prend sa source dans une relation entre personnes libres et égales, elle pourrait tout simplement disparaître. La chosification à laquelle est soumis l’individu programmé se répercuterait dans sa perception de lui-même puisque la frontière ente sujet et objet disparaîtrait.
Habermas parle au conditionnel. Il tente une réflexion exploratoire plutôt qu’il développe une argumentation rationnellement imparable. Le philosophe allemand veut montrer, sans se référer à une essence humaine, une conséquence possible de l’ingénierie humaine sur la conscience de soi et le prix à payer de cette intervention.
Une chose pourtant paraît certaine. Cette ingénierie ne concourt pas naturellement au projet moderne de l’autodétermination individuelle. jd
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