
Les exigences américaines envers les banques helvétiques scandalisent les politiciens bourgeois. Des politiciens qui, des décennies durant, ont fidèlement légitimé les activités délictueuses des établissements financiers en bétonnant le secret bancaire et maintenant la distinction entre fraude et évasion fiscales. C’est là que réside le véritable scandale.
«Trahison», «capitulation sans conditions», «arrogance néocoloniale», «chantage», «violation de la souveraineté nationale», les épithètes guerrières n’ont pas manqué pour dénoncer tout à la fois la prétendue faiblesse du Conseil fédéral et de la ministre des finances et les manières de cow-boy de l’administration américaine.
Resituer dans un contexte historique le conflit qui oppose le fisc et la justice américaine aux banques helvétiques, comme l’a fait le Tages-Anzeiger (1er juin 2013), permet de mieux apprécier les responsabilités. Dans cette affaire, la Suisse a compris trop tardivement et sous la pression que la crise financière a changé les règles du jeu. Et, pour ce qui est de la manière d’agir des Etats-Unis, elle n’a rien appris du passé.
Washington commence par lancer un avertissement, attend puis renouvelle son avertissement. Et finit par perdre patience et sort la grosse artillerie. Ainsi les Etats-Unis exigent, depuis 1943 déjà, que la Suisse cesse de blanchir l’or de l’Allemagne nazie. En vain. En 1946, Berne doit accepter une amende de 250 millions de francs pour solder ce différend, un accord qualifié alors de diktat et d’humiliation.
Le scénario se répète à propos des fonds en déshérence. En 1946, les Etats-Unis demandent que nous nous saisissions du dossier. Sans effet. Dans les années 60, nouvel avertissement. Sans effet. Et le capital-patience étant épuisé, UBS et Credit Suisse se voient contraints de verser 1,25 milliard dans un fonds pour dédommager les ayants droit des comptes bloqués depuis la fin de la guerre.
Dans le conflit actuel, le même scénario a prévalu. Après qu’UBS a dû passer à la caisse pour éviter des poursuites pénales aux Etats-Unis et que la Suisse a autorisé la transmission de milliers de dossiers de clients de la banque, d’autres établissements n’ont pas hésité à accueillir et même à démarcher des contribuables américains fuyant UBS. Faut-il s’étonner que la patience de Washington soit à bout?
Nombre de parlementaires bourgeois accablent Eveline Widmer-Schlumpf parce qu’elle n’a pas obtenu un accord global pour régler ce différend. Les Etats-Unis ont en effet préféré traiter directement avec les banques, arguant qu’une affaire pénale ne pouvait faire l’objet d’un accord inter-étatique. Il est pour le moins paradoxal de voir des politiciens, toujours empressés de limiter l’action de l’Etat et de prêcher la responsabilité individuelle, privilégier soudain l’intervention de la puissance publique dès lors que des banques sont sur la sellette.
Et il est tout aussi paradoxal d’observer le souci des députés de connaître les conséquences de la lex USA avant que d’éventuellement l’approuver. Alors qu’il ne s’agit que de créer les conditions légales pour que les banques puissent régler leur contentieux avec les Etats-Unis.
Le Parlement n’est pas toujours aussi pointilleux en matière d’évaluation prospective des textes qu’il adopte. Il n’est que de rappeler la cacade à laquelle a donné lieu l’initiative dite générale, approuvée par le peuple en 2003 – et supprimée de la Constitution six ans plus tard, le Parlement reconnaissant qu’elle n’était pas praticable. Sans parler des multiples révisions de la législation sur l’asile, des gesticulations qui n’ont pas fait avancer d’un pouce le dossier.
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