
C’est un vieux réflexe helvétique que de voir dans la présence étrangère la source des maux qui touchent à un moment donné la société.
Dans les années 70, une forte inflation et la difficulté à se loger – déjà – avaient nourri la première vague xénophobe. Aujourd’hui, l’immigration favorisée par la libre circulation des personnes se voit accusée pêle-mêle de faire pression à la baisse sur les salaires, d’aggraver la pénurie de logements à des prix abordables et de saturer les systèmes de transport. Si l’accusation était fondée, la décision du Conseil fédéral se révélerait totalement inadéquate. Car le contingent d’autorisations pour les douze prochains mois ne représente qu’une faible réduction du nombre de migrants entrés en Suisse au cours des dernières années. Par ailleurs, le gouvernement n’a pas cru bon de limiter également le nombre des permis L de courte durée – au maximum une année -, ce qui permettra de contourner le contingentement des permis de séjour B – cinq ans -. Enfin cette restriction à la libre circulation ne sera plus autorisée dès l’an prochain, selon les termes de l’accord avec l’Union européenne.
Le Conseil fédéral a voulu donner un gage à la population en prévision des prochaines votations susceptibles de mettre en péril le principe même de la libre circulation: l’initiative Ecopop, celle de l’UDC “contre l’immigration de masse”, l’extension de la libre circulation à la Croatie: nous sommes conscients que le rythme et l’intensité de l’immigration posent problème. Mais ce signal risque fort de n’être point entendu. Car le malaise ressenti par une partie de la population relève plus de notre incapacité à gérer les causes et les conséquences de la croissance économique que de l’ouverture du marché du travail helvétique aux ressortissants européens. Certes, le Parlement a récemment introduit la responsabilité solidaire des entreprises (DP 1979) avec leurs sous-traitants en matière de respect des conditions salariales et a précisé la définition du travailleur indépendant, notion derrière laquelle se cache trop souvent un salarié détaché par son entreprise à l’étranger. Mais les mesures d’accompagnement censées adoucir les effets de la libre circulation souffrent d’un déficit d’application. Tous les cantons, responsables de la mise en œuvre de ces mesures, ne déploient pas le même zèle. Plus qu’un contingentement très provisoire et de peu d’effet, c’est d’abord une application stricte des dispositions en vigueur qu’il faut viser pour assurer la crédibilité de la libre circulation.
Dans plusieurs villes, notamment en Suisse romande, la pénurie de logements atteint un degré préoccupant. Seule une offre plus abondante permettrait d’éliminer la stigmatisation à laquelle sont soumis les étrangers, non seulement “voleurs d’emplois”, mais aussi “accapareurs de logements”. On ne voit pas pour l’heure émerger des programmes communaux et cantonaux de stimulation de l’habitat à prix abordable. Pour autant, l’accroissement du parc immobilier ne doit pas se réaliser en dévorant le territoire. La révision de la législation, largement acceptée en votation populaire, témoigne de ce souci de préserver les paysages et de concentrer plus l’habitat.
Le problème de l’immigration de travailleurs nous donne l’occasion de faire l’analyse critique de la politique de promotion économique menée par les cantons, à coup d’exonérations fiscales et de baisse du taux d’imposition des entreprises. Cette course au moins-disant fiscal crée-t-elle des emplois d’abord pour les travailleurs résidents ou stimule-t-elle l’importation d’une main-d’œuvre étrangère ? Par ailleurs, le recours accru à une main-d’œuvre étrangère pour combler la pénurie de main-d’œuvre indigène dans certains secteurs met en évidence les lacunes dans la formation de base et continue de la population résidente.
Dans tous ces dossiers – lutte sans concession contre le dumping salarial, politique du logement, aménagement du territoire, formation, fiscalité -, on constate que la droite a fait obstacle aux solutions qui atténueraient les effets négatifs de la libre circulation. Dès lors l’activation de la clause de sauvegarde, soutenue par les libéraux-radicaux, les démocrates-chrétiens et l’UDC, fait figure de substitut à des politiques que ces partis se refusent à mettre en œuvre. A cet égard, la droite portera une lourde responsabilité au cas où un vote populaire conduirait à remettre en cause la libre circulation; si elle tenait vraiment à cette liberté, elle ne rechignerait pas à créer les conditions politiques de sa poursuite.
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