L’entreprise ne manque ni d’ambition ni d’originalité. Alors que le Conseil fédéral vient d’envoyer au Parlement son message sur l’encouragement de la formation, de la recherche et de la technologie (DP 1368, « Un vent frais et revigorant nous arrive de Berne »), le secrétaire d’État Charles Kleiber publie un texte décapant, Pour l’Université, qui s’inscrit en soutien et en prolongement de la politique fédérale. Au très officiel message et à son ton convenu s’ajoute donc une réflexion plus libre, un « essai d’anticipation » comme le qualifie son auteur, pour lancer le débat et même susciter la contestation. Le haut fonctionnaire, avec la bénédiction de ses magistrats de tutelle, se libère du carcan hiérarchique pour penser la formation supérieure.
Cette démarche inhabituelle se justifie par l’importance de l’enjeu. La formation supérieure fut longtemps le privilège d’un petit nombre ; elle est aujourd’hui une exigence pour la société tout entière, puisque cette dernière se construit d’abord sur le savoir. C’est pourquoi l’Université doit retrouver une place centrale au sein de la cité, se réinventer.
La tâche est ardue. Car si l’Université peut se prévaloir d’un riche héritage, elle souffre de nombreux dysfonctionnements : monde cloisonné, constitué de citadelles jalouses de leur indépendance ; navire sans pilote, lent à se mouvoir et où cohabitent aussi bien l’excellence que la médiocrité. Le diagnostic de Kleiber est sévère mais difficilement contestable.
Le projet esquissé par le secrétaire d’État séduit. D’abord parce qu’il ne propose pas un plan tiré au cordeau qu’il suffirait d’appliquer, mais une construction à entreprendre. Même si le langage peut parfois surprendre, l’entreprise n’a rien de technocratique. La concurrence prônée n’ouvre pas la voie à la compétition débridée, car elle reste au service d’objectifs politiques. La coopération, qui la complète, permet d’éviter le piège des fusions appauvrissantes et réductrices. L’évaluation des performances oblige les acteurs à débattre des missions et des valeurs de l’Université.
Les oppositions seront multiples et farouches car le projet bouscule les hiérarchies et les situations acquises. Et l’enlisement guette ce projet bâti sur des équilibres subtils. Comment concilier liberté et responsabilité, autonomie et coopération, dynamisme de l’institution et sécurité nécessaire à l’activité de recherche ? Pour mener à bien ce processus de modernisation de l’Université, il faudra à la fois patience et ténacité pour vaincre les résistances et convaincre.
Si l’entreprise échoue, ce sera aussi l’échec du fédéralisme et la voie ouverte à une Université fédérale. JD
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