Le dernier recueil de Vahé Godel, Rien (ou presque), résonne comme une «fin de partie», mais avec la tentation du ciel quand même, et sa promesse de renouveau. D’emblée, le premier poème (Qui? Comment? Pourquoi?) pose les questions existentielles fondamentales, et cerne du même coup les enjeux de la poésie:
Qui? comment? pourquoi? depuis quand?
combien de temps dure la traversée?
où se trouve la porte d’or?
que sont mes amis devenus?
– dans chaque mot tremble un oiseau
(les morts font bonne garde)
Dès lors les mots et la mort sont liés, adversaires ou complices («le silence fait rage dans la maison des mots»). Pour se protéger du naufrage promis à tout être vivant, ou tout au moins pour en éloigner l’échéance, le poète appelle les mots à la rescousse:
quand le vide m’assaille
quand le silence me pénètre
jusqu’à la moelle
aussitôt je m’entoure
d’une foison de mots
Mais les mots mêmes font défaut et, «seul dans le noir sans voix nu comme un ver/n’ayant plus pour écrire/que mon sang et ma peau (tel soit mon dernier livre)», le poète pressent la fin du voyage. Non sans un sursaut de bonheur devant la beauté d’un «érable solaire», ou l’espoir de parvenir quand même à«chanter ce qui vous hante/suivre le silence à la trace/– apprendre à mûrir dans la glace(Michaux)».
Cependant, ne jamais baisser les bras devant l’inéluctable, se battre, résister à coups de mots, voilà en fin de compte ce que dit la poésie de Vahé Godel, et ce qui fait sa force. Car cet art irradie d’énergie vitale, jusqu’à faire des ruines et des bas-fonds eux-mêmes, symboles du vieillissement humain, les instruments d’un renouveau: «chercher le ciel dans les sous-sols». L’oiseau est à cet égard emblématique: porte-plume, chanteur et voyageur, double du poète, il inscrit dans le ciel la trajectoire à suivre pour ne pas sombrer et retrouver «peu à peu/la saveur du ciel bleu».
Ainsi, constamment tenté par le «rien», le poète échappe à la pesanteur du vide grâce à ces intercesseurs que sont, on l’a vu, l’oiseau, mais aussi un corps de femme, ou un arbre dans le soleil. C’est pourquoi, dans le titre de ce recueil, à mon sens, tout est dans le «presque» (ou presque!).
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