On ose à peine y croire. Le Conseil fédéral annonce une modification majeure de la loi sur les cartels malgré l’hostilité conjuguée d’economiesuisse et celle, plus inattendue, de l’Union syndicale.
Pratiquement seule en Europe, la loi suisse n’interdit pas les cartels. Elle se borne à en combattre les abus. Cette règle lénifiante impose à la Commission de la concurrence (Comco) de prouver, après d’interminables enquêtes, qu’une entente a des conséquences importantes et dommageables.
Le gouvernement propose d’abandonner ce Sonderfall helvétique. L’interdiction des cartels sera la règle. Les entreprises touchées pourront y échapper si elles apportent la preuve qu’une entente est bénéfique à l’ensemble de l’économie du pays. Le fardeau de la preuve change de camp.
L’innovation est de taille. Elle est la retombée positive de la crise monétaire. L’envolée du franc aurait dû, logiquement, abaisser le prix des marchandises importées. Mais les ententes verticales entre fabricants étrangers et les importateurs ont privé les consommateurs de cet avantage. La différence scandaleuse entre le prix des achats en Suisse et dans les pays voisins a provoqué la grogne populaire (DP 1924), le tourisme des achats et a convaincu le gouvernement d’agir.
Les méfaits du franc fort ont actualisé et souligné un dysfonctionnement endémique de notre économie. La Suisse est un îlot de cherté au milieu de l’Europe. Pour faire pression sur les prix, Doris Leuthard est parvenue à imposer le principe du «Cassis de Dijon». Cet alignement sur les normes européennes devait faciliter les importations et permettre, pour les Suisses, des économies évaluées à deux milliards par année. Ces espoirs semblent s’évanouir. Une enquête que le Seco refuse de publier donnerait des résultats plus que médiocres. La solidité des ententes verticales a annulé l’effet supposé de l’abolition des obstacles techniques aux échanges. Ce sont donc bien aux cartels qu’il faut s’attaquer.
Sous son étiquette libérale, mais traditionnellement hostile à un renforcement des règles de concurrence, economiesuisse reproche au Conseil fédéral d’agir sous la pression du franc fort, une urgence qui serait mauvaise conseillère. L’Union syndicale, quant à elle, tourne le dos à la défense du pouvoir d’achat. Et pourtant, tous les salariés sont des consommateurs.
Le gouvernement a présenté les grandes orientations de sa réforme. Il la précisera dans un message annoncé pour le début de l’an prochain. Il laisse entendre que les détails d’application, notamment concernant le fardeau de la preuve, seraient réglés par ordonnance. De son côté, economiesuisse ne cache pas qu’elle sera attentive aux débats parlementaires et à la manière dont l’autorité appréciera l’impact de ses décisions.
Le Sonderfall Schweiz s’affaiblit. Ne l’enterrons pas trop vite.
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