«La Suisse est le paradis des agriculteurs». Willy Gehriger, patron de la Fenaco, et président d’Intercoop (Fédération européenne des coopératives agricoles), rapporte ainsi les propos de ses collègues européens dans le Tages Anzeiger. Voilà qui tranche d’avec les revendications vigoureuses du syndicat minoritaire Uniterre et qui explique pourquoi l’Union suisse des paysans défend si étroitement le statu quo de la politique agricole suisse.
L’Office fédéral de la statistique confirme en quelque sorte l’appréciation envieuse de nos voisins. Les plus récents chiffres qu’il publie montrent que la situation des paysans suisses ne s’est pas péjorée malgré la profonde mutation du secteur agricole depuis la grande réforme de 1993. La production est restée étonnamment stable aussi bien dans l’élevage que dans les grandes cultures.
En revanche, les prix payés aux exploitants ont diminué de quelque 25%. Cette spectaculaire dégringolade n’a pas péjoré le revenu moyen des agriculteurs. L’indice qui montre l’évolution du «revenu par unité de travail» a progressé de 20 points en 18 ans. Cette apparente contradiction dans les chiffres s’explique de deux manières. Premièrement, le manque à gagner par la baisse des prix a été compensé par les paiements directs. Avec un montant annuel de 3 milliards de francs, la Confédération assure 22% du revenu des agriculteurs. Secondement, les paysans sont moins nombreux pour produire les mêmes quantités et se partager les mêmes paiements directs.
Cette rationalisation de la production passe par la disparition de nombreuses exploitations. Les défenseurs de la traditionnelle ferme familiale le déplorent vivement et préconisent le retour aux anciens prix, seuls capables de couvrir les coûts de production. Ils sont à la recherche du paradis perdu des agriculteurs. Ce paradis n’est certainement pas chez nos voisins. L’Europe protège son agriculture mais les prix payés à ses paysans sont systématiquement et parfois massivement inférieurs aux prix suisses à la production (DP 1873). Pas étonnant donc que l’Union suisse des paysans se cramponne au régime actuel et rejette fermement le libre-échange avec Bruxelles. Pourquoi rejoindre le purgatoire voisin?
Selon la récente analyse de l’OCDE le soutien public sous touts ses formes assure 22% des recettes des agriculteurs européens. Mais la répartition de ces aides mal distribuées doit être revue. Une réorientation de la PAC (Politique agricole commune) se présente comme un sac de nœuds. Les pays et les secteurs bénéficiaires coucheront sur leurs avantages.
Le même débat sur la répartition de la manne publique aux agriculteurs s’imposera en Suisse. Absent de la campagne pour les élections fédérales, il resurgira dans quelques mois, lorsque le Conseil fédéral présentera un nouveau projet de Politique agricole 2014-2017, contesté en consultation par l’Union suisse des paysans.
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