
On ne se voit pas grandir, dit-on. C’est ce qui est arrivé aux Vaudois. Ils étaient pourtant depuis plusieurs années fort à l’étroit dans leur costume; les indices de la pénurie de logements révélaient à l’évidence cet inconfort social.
Le Conseil d’Etat, en fin de mandat, a décidé de définir une politique. Jean-Claude Mermoud l’a présentée. Il vaut la peine de citer une partie significative du communiqué:
« (…) Le Canton renforce sa politique en faveur de la construction de logements. Car si la construction a contenu jusqu’ici la croissance de population, elle ne parvient pas à enrayer la sévère pénurie actuelle. Selon une étude, les effets favorables du Plan directeur cantonal en termes de créations de logements ne devraient se concrétiser que d’ici plusieurs années. De nombreux propriétaires de terrains ne souhaitent en effet pas construire actuellement. Aussi, le Conseil d’Etat entend mettre l’accent sur la lutte contre cette thésaurisation des terrains constructibles dans les centres, notamment à travers une révision de la loi sur l’aménagement du territoire et les constructions (LATC), dont il autorisera prochainement la mise en consultation. Ainsi, un droit d’emption permettrait, à certaines conditions, aux communes d’acheter des terrains constructibles sur lesquels rien ne serait bâti. Le Gouvernement prévoit également de favoriser les remaniements parcellaires, empêcher la sous-utilisation du potentiel constructible des parcelles et taxer davantage les terrains constructibles non utilisés. En outre le Gouvernement prévoit des mesures en faveur de la réalisation de logements à prix accessibles. Elles ouvriraient la possibilité de construire davantage de surface habitable pour les logements d’utilité publique et le droit aux communes d’instaurer des quotas de logements d’utilité publique. Un soutien accru sera apporté aux projets portés par les coopératives d’habitation. (…)»
Que de louables actions! Mais le ton est, plutôt que celui d’une planification décidée par l’autorité politique, celui d’un programme attrape-tout.
Historiquement
La propriété est garantie par la Constitution, fédérale et vaudoise. Paradoxalement elle fut, quoique répartie inégalitairement, la condition du droit de vote, d’abord censitaire. Et peut-être, dans l’esprit de certains, reste-t-il quelques traces de cette conviction du 19e siècle qu’il faut avoir du bien pour être compétent en affaires publiques.
Mais la pensée libérale s’est toujours heurtée à cette difficulté; le constat que le sol n’est pas extensible, d’où la proposition de le communaliser, que défendirent notamment quelques libéraux bâlois, dont Hans Bernoulli, à qui l’on doit la formule: «Grund und Boden der Stadt, Hausbesitz den Privaten» (les terrains à la ville, les constructions aux privés).
Constitutionnellement, la propriété est, quoique garantie, soumise à l’intérêt public. Elle peut faire l’objet d’une expropriation. Mais l’intervention de l’autorité est plus importante encore par la compétence qui lui est attribuée de définir l’affectation du territoire. Un plan de zone peut densifier ou geler une surface, donc en modifier fondamentalement la valeur.
Droit d’emption
Créer des logements, c’est répondre à un besoin premier. L’intérêt collectif doit donc créer les conditions légales qui permettent d’en assurer la primauté.
Certaines zones, quoique constructibles, ne sont pas bâties par volonté de leur propriétaire. Cette thésaurisation serait une des causes de la pénurie de logements. Pour y remédier, le Conseil d’Etat désire que la loi sur l’aménagement du territoire donne aux communes, sous certaines conditions, la possibilité d’exercer un droit d’emption (ou d’expropriation). De son côté, par une initiative populaire, l’ASLOCA-Vaud entend donner du poids à ses arguments.
A peine formulées, ces intentions suscitent de la part des milieux immobiliers un refus qui fait pressentir une longue bataille juridique et politique.
Plan de quartier
Le droit d’expropriation n’est pas applicable lorsque l’opération aurait pour effet de faciliter une construction d’intérêt commercial, donc d’intérêt non pas collectif mais privé.
Or beaucoup d’opérations impliquent l’enchevêtrement d’intérêts. Plus que jamais à l’heure où l’on essaie de planifier à l’échelle du quartier, ce qui implique un équipement de services en rapport avec l’habitat et, pour partie, à but commercial. Il est abusif dans une telle situation que le détenteur d’une seule parcelle puisse bloquer toute l’opération. On doit donc pouvoir par remaniement ou par expropriation partielle résoudre une telle situation.
A cette aune on mesurera l’inventivité politique des Vaudois. Ou une guerre juridique interminable ou la mise au point de formules nouvelles négociées.
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