Dans le cadre de la campagne pour les élections fédérales de l’automne prochain, les partis bourgeois et la droite nationaliste font assaut de suissitude (DP 1902). Le petit ouvrage de René Levy La structure sociale de la Suisse – Radiographie d’une société, récemment réédité, tombe à point pour contrer ce prêt-à-porter idéologico-sentimental.
Quand des partis n’ont plus rien à dire sur les valeurs et les intérêts qu’ils défendent, leur reste les slogans rassembleurs qui semblent exprimer tout à la fois un fait et un espoir. Comme «La ménagère suisse cuit à l’électricité», «Les Suisse votent UDC». Conflits et tensions sont gommés au profit de la belle unanimité que confère le label helvétique. Or une campagne électorale devrait au contraire faire ressortir les problèmes, les besoins sociaux, de telle partie de la population, et donner l’occasion aux formations politiques de proposer leurs solutions.
La radiographie de la société suisse présentée par Levy ne contient pas de révélations explosives, simplement un rappel de faits qui expriment besoins, tensions, inégalités, bref les enjeux politiques que devrait mettre en scène une campagne électorale. Alors que certains craignent un déferlement de requérants d’asile, se souvient-on que c’est à la fin du 19e siècle seulement que le nombre d’immigrés étrangers a dépassé celui des Suisses quittant le pays? Aux partisans de la posture du hérisson, rappelons que les exportations représentent 40% du PIB, une «dépendance» qui fait notre richesse. Et ceux qui peignent le diable de Bruxelles sur la muraille ignorent-ils que l’Union européenne absorbe deux tiers de ces exportations et nous livre trois quarts de nos importations. Des faits qui expriment crûment notre interdépendance et qui devraient imposer un débat plus serein et plus sérieux sur la notion de souveraineté.
Pays riche certes, mais pays qui entretient des inégalités dont la persistance, voire même la progression, risque de mettre à mal la cohésion sociale. Inégalités salariales encore relativemente importantes entre hommes et femmes, répartition des revenus et de la fortune parmi la plus inégalitaire des pays de l’OCDE. Un système scolaire qui ne garantit pas l’égalité des chances et qui contribue à la rigidité de la stratification sociale. Une cartellisation de l’économie qui affaiblit les consommateurs au profit des producteurs.
Niveau de vie élevé certes, mais signes d’un mal être: une consommation d’alcool élevée en comparaison européenne; un adulte sur cinq ingurgite quotidiennement un somnifère, un antidouleur, un tranquillisant, un stimulant ou un cocktail de ces substances.
Ces quelques exemples livrés par l’analyse de la structure sociale suffiraient à nourrir une campagne électorale digne de ce nom. Et à dégonfler les fantasmes sécuritaires, souverainistes et isolationnistes, dérivatifs commodes aux besoins et aux soucis réels de la population.
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