L’absence d’un impôt sur les gains en capitaux des personnes physiques – une situation quasi unique parmi les pays industrialisés – a fait la fortune des entreprises helvétiques. Pendant des décennies, les assemblées générales acceptaient sans sourciller de se passer de dividendes – soumis à impôt – pour laisser leurs bénéfices dans l’entreprise en en augmentant la valeur – et donc celle de leurs actions.
On leur doit ces grands groupes industriels de taille mondiale que sont Nestlé, Roche, Novartis, BBC ou encore UBS et Credit Suisse par exemple. Les fiscalistes tenant de l’orthodoxie justifiaient alors cette entorse à l’égalité devant l’impôt et au principe de l’imposition selon la capacité contributive en soulignant qu’il ne s’agissait que d’un report dans le temps; l’impôt finirait par être perçu, au plus tard à la liquidation de l’entreprise ou lors de son départ sous d’autres cieux.
Au début des années 90, le parti radical s’est inquiété des charges fiscales insupportables qui, pour cette raison, pèseraient sur un groupe souhaitant déplacer son siège. Il prétendait que les impôts à payer en quittant la Suisse décourageraient les entreprises étrangères de s’établir dans notre pays de crainte de ne pas pouvoir repartir. Dès son arrivée au département des finances, Kaspar Villiger y a mis bon ordre en supprimant cette imposition.
Restait le problème des PME en liquidation à la retraite de leur patron, ou transmises à des tiers: c’est l’un des objets de la révision II de l’imposition des entreprises entrée en vigueur en janvier dernier (art. 37b LIFD). En août 2010, l’Administration fédérale des contributions (AFC) estime à 27 millions la perte fiscale liée à la diminution de l’imposition des bénéfices de liquidation. Concrètement il s’agit de considérer que les apports, les versements supplémentaires et les agios peuvent faire l’objet de réserves assimilables au capital et dès lors remboursables en franchise d’impôt.
Dans un cas comme dans l’autre, on n’a pas trop insisté sur le fait que la constitution de réserves avait permis aux actionnaires de bénéficier de plus-value non imposées, ce que l’AFC appelle pudiquement «la charge fiscale latente sur les bénéfices non distribués» et qui justifiait l’imposition a posteriori que l’on était en train de supprimer.
Aujourd’hui, on découvre avec surprise que de grandes entreprises ont l’intention de faire bénéficier leurs actionnaires de ces dispositions pour des montants manifestement énormes. L’AFC promet qu’elle est en mesure de vérifier que les réserves et agio inscrits dans les comptes de ces entreprises répondent bien aux conditions, manifestement mal réfléchies ou mal comprises de la loi.
On peut dès lors se poser la question: lorsque l’assemblée des actionnaires décide de versements des bénéfices aux réserves ou d’agio, s’agit-il de «versement effectués par les détenteurs des droits de participation» au sens du nouvel article 20 alinéa 3 LIFD? Dans sa réponse à Paul Rechsteiner le 7 mars dernier le Conseil fédéral reste ambigu en réaffirmant qu’il ne saurait s’agir de réserves provenant des bénéfices de l’entreprise mais de réserves déposées par l’actionnaire dans sa société. Est-ce le cas lorsque les actionnaires décident de le faire avec les dividendes auxquels ils auraient droit?
Il est déjà possible de remplacer le paiement de dividendes imposables par le remboursement du capital, par exemple en ramenant la valeur nominale des actions à quelques centimes. Pouvoir rembourser des réserves en franchise d’impôt sous prétexte qu’elles auraient été déposées par les actionnaires reviendrait à supprimer l’imposition des dividendes: ce n’est manifestement pas ce que le peuple a voté a une si courte majorité en février 2008.
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