Il est des compliments qui font mal comme l’arrachement d’une dent par un barbier: la photo du Congrès de l’UDC est une réussite de mise en scène! Le plein air, gelé, imposait la tenue, notamment la variété des couvre-chefs, larges bonnets tricotés main, casquettes avec visière et cache-oreilles. Tronches de croquants. Mais beaucoup s’inquiétaient pour Christoph. A son âge, n’allait-il pas s’enrhumer! On fut rassuré, sa veste était particulièrement rembourrée.
Cette commune méritait pourtant plus qu’une pause photo. Ne serait-ce que par son château du XVIIIe siècle, que le canton de Vaud vendit sous le court règne aux finances vaudoises de l’UDC Pierre-François Veillon. Une Française, riche propriétaire de vignes à Saint-Emilion, en a fait l’acquisition. Mais pour le vin chaud au Congrès de l’UDC, on offrit du Coinsins.
Coinsins, commune riche, eut la particularité dans l’histoire vaudoise d’être mise sous régie. Son syndic, rebelle, grande gueule populiste comme on n’en trouve plus qu’à Genève, avait défié le Conseil d’Etat. Mais la fronde au village n’atteignait pas la vie au château et ses résidents successifs au profil contrasté. Une actrice française qui eut son heure de brève gloire. Nicolas Bouvier qui y joua enfant, son grand-père paternel louant le château pour deux mois en été, où il«recevait à sa table des gens comme Krishnamurti, Herriot, Tagore, Croce, Bergson» (Routes et déroutes. Entretiens avec Irène Lichtenstein-Fall, Metropolis, p. 32), des écrivains et philosophes de l’«internationale» culturelle. Une autre famille. C’était aussi à Coinsins.
Le château fut en 1958 acheté par un richissime Anglais, Reginald Toms, qui, après-guerre, avait fait fortune dans l’immobilier en Grande-Bretagne et en Afrique du sud. Il s’établit à Coinsins. Au calcul de la triangulation fiscale, il avait aussi un domicile à Monaco et un autre au Liechtenstein. Il était passionné de tapisseries anciennes, de tapis, de meubles. Ses moyens lui permettaient d’acheter tout ce qui était mis en vente sur le marché londonien. Sa veuve qui, malgré les ressources de sa fortune, vivait modestement dans une aile aménagée du château, légua par testament à l’Etat de Vaud le château et ses collections.
Ainsi l’Etat de Vaud est propriétaire d’une des plus importantes collections privées de tapisserie, produites par des ateliers belges, français, italiens. C’est-à-dire des écoles de l’art européen, d’une Europe qui exprimait sa créativité, qui donnait forme à son triomphe, à sa mythologie, à ses fantasmes, à ses peurs. Parmi les pièces les plus belles de la collection Toms: Scipion affrontant Hannibal.
Sur la prairie gelée de Coinsins, beaucoup de fantômes ont croisé la Landsgemeinde des croquants.
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