
Des slogans qui claquent comme des drapeaux au vent, les congrès du parti socialiste suisse (PSS) en sont coutumiers. De telles rencontres permettent aux délégués d’évacuer toute la frustration engendrée par le statut de minoritaire et les lourdes contraintes de la participation dans les exécutifs. Le programme, quand il exprime des objectifs lointains, autorise cette distance d’avec la gestion quotidienne. C’est pourquoi il sombre bien vite dans l’oubli.
Il y a une trentaine d’années, les délégués décidaient de rompre avec le capitalisme. Sans effets perceptibles sur la politique du parti et de ses élus. A fin octobre de cette année à Lausanne, le congrès s’est prononcé pour le dépassement du capitalisme. La plupart des commentateurs ont souri, les plus critiques n’ont pas manqué de ricaner. Pour les détromper, il est indispensable de concrétiser cet objectif programmatique sur le terrain économique et social, sans quoi il n’aura pas plus de substance que la rupture de naguère.
La critique du capitalisme est certes au cœur de tout programme socialiste (DP 1865). Encore faut-il étayer cette critique et préciser son objet. La capitalisme comme épouvantail ne suffit pas à fonder une action. Même sa définition générale – un système économique caractérisé par la propriété privée des moyens de production, la recherche du profit et un marché fonctionnant selon la loi de l’offre et de la demande – se révèle insuffisante pour articuler une critique efficace.
Car le capitalisme est pluriel selon les relations qu’entretiennent les acteurs sociaux sur le marché et le rôle qu’endosse l’Etat: capitalisme rhénan qui privilégie la cogestion, anglo-saxon plus centré sur le seul marché, japonais qui voit coopérer l’Etat et les grandes entreprises; capitalisme familial qui opère sur le long terme, ou financier tel que pratiqué en particulier par les banques et les fonds de pensions qui recherchent le profit à court terme, managérial qui fait la part belle aux dirigeants, ou encore monopoliste d’Etat qui concentre plus ou moins fortement les décisions économiques dans les mains de la puissance publique.
Le capitalisme est multiple, il s’agit donc de distinguer le ou les adversaires prioritaires.
Le dépassement ne peut signifier le retour à l’appropriation par l’Etat des moyens de production. On sait dans quelle impasse elle a conduit.
Parce qu’on ne peut espérer la fin proche du capitalisme, pas plus qu’accepter la fatalité de sa perpétuation, Edgar Morin préconise une économie plurielle qui fait place notamment à l’économie sociale et solidaire, au commerce équitable, à l’entreprise coopérative et à des services publics répondant aux besoins de base. de manière à limiter l’impératif de profit et à contenir la sphère marchande.
Dans la sphère marchande elle-même, nombre de régulations peuvent contribuer à domestiquer cet impératif de profit. Par exemple des normes environnementales plus strictes assurant la pérennité du milieu naturel, base indispensable de toute activité économique; des normes sociales et en matière de conditions de travail qui non seulement protègent les salariés mais leur restituent un dignité d’êtres libres. La fiscalité peut contribuer à un partage plus équitable de la richesse produite et des règles financières dissuader la recherche du profit à court terme.
Le dépassement du capitalisme implique des actions ciblées et coordonnées, une démarche de longue durée, inspirée par une analyse précise de la réalité économique et sociale. La proclamation d’un congrès ne constitue qu’un premier pas.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!