
La crise de l’euro a aggravé le sentiment anti-européen en Suisse. Elle a fait fleurir les arguments isolationnistes. Le pays à la monnaie saine qui maîtrise ses dépenses et sa dette publique devrait écarter l’idée même d’adhérer à l’Union et à sa monnaie malade. Mais lorsque la monnaie saine, devenue refuge, se réévalue fortement, d’autres craintes surgissent. D’obstacle infranchissable, l’euro deviendrait-il une planche de salut pour l’économie suisse? DP ouvre le débat avec une contribution de Lucien Erard.
Curieux pays où l’art, en politique, vise à nier les réalités qui pourraient fâcher l’électeur. Pas question de relever les dangers de l’isolement de la Suisse en Europe. Le silence est assourdissant sur la hausse du franc et ses conséquences pour nos entreprises et sur l’emploi. Alors que le monde politique s’écharpe des années durant pour des fractions de pourcents de TVA ou de cotisations sociales qui soi-disant risqueraient de compromettre la compétitivité de nos entreprises, silence total sur une augmentation de prix de plus de 20% des produits suisses exportés sur le marché européen et, pire encore, sur une baisse potentielle de quelque 20% des prix des marchandises importées de pays membres de la zone euro et qui viennent concurrencer les produits helvétiques.
Certes les entreprises les plus dynamiques y survivront. Leur marge bénéficiaire et leur capacité d’innovation sont suffisantes. Mais les autres? La concurrence risque de réduire leur chiffre d’affaires et leurs marges brutes. Heureusement pour nos politiciens à la petite semaine, c’est silencieusement qu’elles vont progressivement disparaître et même les statistiques de chômage ne permettront pas d’en faire l’inventaire.
Pourquoi ce silence gêné? Parce que la seule mesure efficace contre la spéculation, c’est le passage à l’euro. Longtemps ceux qui spéculaient sur les taux de change se tournaient également vers le mark et le yen, et plus tard vers l’euro en plus du franc suisse. Aujourd’hui nous sommes bien seuls à offrir une monnaie solide, et surtout bien seuls pour défendre notre monnaie contre une hausse si dangereuse. L’équipe précédente à la BNS avait réussi à le faire: une banque centrale peut en effet vendre de sa monnaie sans limites. Elle n’a cette fois pas osé aller jusqu’au bout. La montée du franc suisse lui a fait alors perdre de l’argent sur les devises achetée, et certains s’empressent de le lui reprocher.
Sur un marché financier mondialisé, les montants consacrés à la spéculation sont tels que l’état de l’économie réelle n’a plus guère d’influence sur le cours des changes. Notre pays ne peut plus, seul, y faire face. Les Allemands, pourtant si fier de leur mark l’ont compris. Il serait temps que nous y songions aussi.
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