
L’annonce de la démission du conseiller fédéral Leuenberger a suscité de nombreux commentaires: sur sa personnalité, sa carrière, la stratégie qui sous-tendrait cette annonce anticipée, les papables à sa succession. Sur son bilan politique, on ne relève guère d’enthousiasme.
Si la plupart des commentateurs reconnaissent qu’il a fait bouger les choses en matière de transports, ils ne lui concèdent que la consolidation de la protection de l’environnement et soulignent sa passivité en matière énergétique, de libéralisation de la poste et du marché de l’électricité, de communication enfin. Au Téléjournal, Philippe Roch, ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement, évoque le prétendu manque de vision du magistrat dans ce domaine.
La palme revient à Denis Etienne dans la Tribune de Genève. L’éditorialiste liquide d’une trait de plume caricatural l’action du conseiller fédéral: «Environnement? Rien à signaler, sauf une inclination pour la taxe poubelles. Transports? Une complicité silencieuse dans le sabordage de Swissair, mais rien qu’il n’ait initié. Energie? Son comportement l’assimilait à la douce; il conduit la prochaine génération à improviser. Communication? Télé, télécoms… tout est à améliorer; accordons-lui que La Poste s’est modernisée.» Pour oser le bon mot de mauvais goût: la seule décision de Moritz Leuenberger en quinze ans fût celle de sa démission. Le rédacteur en chef adjoint du quotidien genevois n’aurait pu mieux étaler une inculture politique qui est au moins restée confinée au bout du lac: de manière significative cet article n’a pas été publié par 24 Heures.
L’inculture politique, c’est d’abord de croire qu’un conseiller fédéral dispose de pouvoirs quasi discrétionnaires; il lui suffirait de vouloir pour pouvoir. Cette manière très médiatique de prêter à une personne des compétences imaginaires occulte des mécanismes de décision complexes. Un magistrat doit d’abord convaincre ses collègues, puisque les décisions d’importance relèvent du collège gouvernemental. Devant ce dernier, Moritz Leuenberger a subi plusieurs défaites et dû concéder beaucoup. Puis c’est au Parlement de décider. Là également, les projets relevant de son département ont subi des assauts répétés, en particulier en matière environnementale. Enfin, le peuple a occasionnellement son mot à dire.
Parcourir ce long chemin semé d’embûches exige un sens aigu de la négociation et une appréciation correcte des rapports de force, des qualités reconnues au magistrat socialiste. Dans cette course d’obstacles, les idées simples tout comme les grandes visions ne sont guère utiles.
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