L’effondrement des cours mondiaux des matières premières agricoles a largement épargné les céréaliers suisses (DP 1868), mais aussi les producteurs de lait (DP 1840). L’arsenal des protections légales et un accord interprofessionnel ont nettement atténué l’errance des prix. Mais la Suisse n’est pas une île. Elle écoule à l’étranger – pour une très large part en Europe – entre 8 et 13% de ses céréales et de son lait.
Elle y parvient, notamment par des subventions à l’exportation, pour le chocolat, les biscuits, les bonbons, les pâtes et autres produits agricoles transformés. Les fabricants qui utilisent des matières premières suisses chères obtiennent une compensation pour être mis sur pied d’égalité avec les concurrents étrangers. Le tout est réglementé par un accord avec l’Union européenne concrétisé par la «loi chocolat» de 1974.
En vertu de ce texte, le Conseil fédéral propose chaque année au Parlement un montant budgétaire. La Direction des douanes distribue les montants disponibles aux fabricants de produits alimentaires exportateurs. Le système fonctionne en période normale. Mais il s’est détraqué avec la différence grandissante entre les prix suisses et étrangers (Tages-Anzeiger, 8 juin).
L’écart avec l’Union européenne est énorme, de 154% pour les céréales et 112% pour le beurre. En conséquence, bien que la Direction des douanes ait coupé les subventions de moitié, les millions votés par le Parlement pour cette année sont déjà pratiquement épuisés. Le Conseil fédéral se refuse à proposer un crédit supplémentaire. Il est lié par l’engagement qu’il a pris à l’OMC. Après l’Union européenne, la Suisse s’est déclarée disposée à bloquer, puis éliminer, toutes les subventions aux exportations.
La négociation du cycle de Doha n’a pas encore abouti. Mais Berne, qui tient fermement à un accord, ne veut pas retirer sa proposition pour ne pas favoriser une cascade de désistements.
D’une seule voix, l’industrie alimentaire exportatrice lance une sévère mise en garde. Sans subventions compensatoires, les produits suisses ne sont plus compétitifs. Un transfert de production à l’étranger serait la mesure extrême. Mais pour l’heure, la priorité va à l’importation de matières premières bon marché pour fabriquer les produits destinés à l’exportation. Cette facilité, appelée «trafic de perfectionnement», peut être octroyée par le Conseil fédéral en vertu de l’article 12 de la loi sur les douanes.
Les produits étrangers prendraient alors la place des denrées suisses. Nos paysans sentent le danger. Ils ont consenti aux industriels quelques sacrifices sur le prix de leurs produits. Et ce n’est qu’un début. Les subventions à l’exportation, donc la «loi chocolat», n’ont aucune chance de survie face à l’alliance des paysans pauvres du tiers-monde, du Brésil et de riches exportateurs. L’Union suisse des paysans le sait. Son directeur, le conseiller national Jacques Bourgeois, vient d’intervenir avec succès pour que la Suisse crée un fonds de réserve d’aide aux paysans lorsque les contraintes internationales imposeront à Berne le libre-échange agricole avec Bruxelles.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!