
Comment imposer à l’agenda politique un phénomène marginal? Et comment créer un véritable problème en voulant réglementer ce phénomène? Après l’interdiction des minarets, passons à celle du voile intégral.
Le scénario fonctionne: attiser la crainte fantasmatique d’une partie de l’opinion publique pour se prévaloir de prendre au sérieux cette crainte, sans souci aucun de l’impact réel des solutions proposées. Le seul intérêt d’un débat malencontreusement surexposé par les médias? Dévoiler les faux culs de la droite nationaliste et démocrate-chrétienne, soudain préoccupés de protéger les droits des femmes. Et mettre en lumière le peu de cas que font certain(e)s progressistes des droits fondamentaux.
Deux historiennes alémaniques (NZZ, 12 mai) rappellent à juste titre que la défense des libertés ne passe pas en priorité par des interdictions, mais implique d’abord des mesures qui permettent aux femmes d’exercer leurs droits. Par exemple la poursuite pénale systématique des violences faites aux femmes, la création et le financement de services d’appui aux migrantes exploitées sexuellement ou économiquement, la reconnaissance d’un droit d’asile indépendant de l’état civil pour les femmes étrangères victimes de violence, la non-discrimination des femmes voilées en matière de formation et d’emploi. Sur tous ces dossiers, les soudains défenseurs de la dignité des femmes se sont tus ou ont manifesté une farouche opposition.
L’appui de féministes et de progressistes à une interdiction du voile intégral est plus surprenant. Comment justifier une telle interdiction au nom de la défense des droits fondamentaux, alors que cette interdiction nierait le libre choix des femmes? Ces militants des droits de la femme ne voient-ils pas l’illogisme de leur attitude, une attitude qui par ailleurs conforte des milieux viscéralement anti-égalitaires?
Mieux que d’autres pays à structure politique centralisée, la Suisse a jusqu’à présent géré de manière pragmatique des comportements minoritaires, non conformes aux usages. Par le dialogue au sein de l’établissement scolaire et sur le lieu de travail, le cas échéant par des solutions au cas par cas, par des compromis. Et non par des règles générales et abstraites issues de débats sans fondements dans la réalité et porteuses de conflits plus que de solutions. Elle n’a aucune raison de s’écarter de ce chemin.
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